Depuis sa création, l'OIP s'attache à observer, en toute indépendance, le fonctionnement des établissements pénitentiaires et à analyser la manière dont la politique pénale et pénitentiaire se déploie au sein des différents établissements pénitentiaires français et envers les personnes suivies en milieu ouvert, dans la continuité de leur emprisonnement.
Notre rôle consiste à observer, informer et alerter. Nos missions se concrétisent dans plusieurs publications, telles que la revue Dedans-Dehors, le Guide du prisonnier que nous mettons à jour régulièrement, ainsi que dans notre action de plaidoyer institutionnelle et interassociative et de contentieux. Vous avez évoqué celui concernant le répertoire DPS ; d'autres ont par exemple concerné les conditions de détention.
L'OIP n'a reçu ni avant ni après les événements du 2 mars 2022 aucune information ni aucun témoignage de personnes détenues dans la maison centrale d'Arles en lien avec les faits à l'origine de cette commission d'enquête. Nous n'avons pas davantage d'éléments sur l'instruction judiciaire qui est toujours en cours. Nous nous exprimons donc d'une position extérieure à ce dossier précis. C'est aussi ce qui fait l'intérêt de notre regard.
Votre commission d'enquête a pu s'émouvoir – le terme n'a rien de péjoratif – des traitements pénitentiaires apportés aux différents acteurs de ce dossier. Il ne nous appartient pas de juger ni de qualifier ces traitements, mais seulement de les replacer dans le contexte général d'une politique pénitentiaire qui, depuis une trentaine d'années, s'est incroyablement durcie dans le traitement de certaines catégories pénales, et notamment des personnes écrouées pour des faits de terrorisme.
Notre intervention vise ainsi à décrire le paysage global dans lequel évoluent plus de 72 000 personnes détenues et plusieurs milliers de leurs proches. Ayant pris connaissance des échanges qui ont eu lieu au cours des différentes auditions de la commission d'enquête, nous voulons d'emblée appeler à la prudence. Si vous deviez formuler des recommandations à l'issue de vos travaux, nous vous invitons avant tout à la mesure quant à toute proposition qui tendrait à rigidifier le fonctionnement de la prison.
En effet, nos observations nous amènent à estimer que cette institution est dure, et que son fonctionnement nécessite des marges. Cette liberté d'appréciation de l'administration pénitentiaire dans certaines situations nous semble indispensable pour éviter que tous les régimes de détention se ressemblent et que l'ensemble des personnes détenues soient soumises aux mêmes conditions de détention et d'exécution de peine.
Cette marge est nécessaire, mais la détermination de règles, de cadres et de normes clairs, prévisibles et précis nous apparaît néanmoins impérative. À cet égard, plusieurs éléments semblent manquer dans le droit pour déterminer les critères et les conditions qui peuvent être mobilisées par l'administration pénitentiaire afin d'appliquer les régimes de détention : les traitements risquent ainsi de basculer vers l'arbitraire – c'est-à-dire le discrétionnaire amplifié.
Nous souhaitons donc éclairer vos débats sur le fonctionnement de la prison dans sa globalité, décrire son fonctionnement et mettre en lumière les atteintes aux droits des personnes détenues, en rappelant le contexte sécuritaire qui y prévaut et la transformation policière de l'administration pénitentiaire. Cette évolution, consacrée par la loi pénitentiaire de 2009, ne se limite pas à l'usage de la force : elle concerne les quatre dynamiques de l'activité policière, à savoir la production et le traitement d'une information – le renseignement ; la prévention des atteintes à l'ordre public ; la répression de ces dernières ; la gestion de crise. Ces dernières années, l'administration pénitentiaire a complètement investi chacune de ces dimensions.
La mise en œuvre du répertoire DPS, mais également le développement des outils de prise en charge de la radicalisation en prison participent de ce mouvement, qui nous paraît construit en opposition et au détriment des droits et libertés fondamentaux. En effet, ils entraînent un durcissement des conditions de détention, une aggravation de la rigueur des régimes de détention, et le déploiement constant d'outils de contrôle et de surveillance qui restreignent drastiquement la liberté des personnes détenues.