La question est vaste… Je travaille en milieu pénitentiaire depuis dix ans et il me semble que la santé mentale des personnes détenues s'est dégradée. En tout cas, nous recevons de plus en plus de personnes ayant des troubles mentaux.
Au départ, je pensais que ces détenus n'avaient rien à faire en prison ; mais le problème n'est pas là. Les gens qui sont en prison s'y trouvent en général parce qu'ils ont commis certains actes. Le premier problème est celui des experts, qui irresponsabilisent très peu. La question est plus générale : certaines personnes ont de tels troubles qu'elles doivent être accompagnées pendant très longtemps mais il n'existe plus de structure en aval, en psychiatrie, pour recevoir des gens qui rencontrent des difficultés à vivre en société. J'évoquais la frilosité des juges d'application des peines – avec lesquels nous travaillons bien, dans le respect du secret médical – car on ne sait pas où mettre ces personnes quand elles doivent sortir de prison.
Depuis quelques années, nos moyens ont augmenté et l'effectif de mon équipe a doublé en dix ans. On tente donc de s'occuper de ces personnes. Mais si les moyens humains ont doublé, les lieux n'ont pas bougé – c'est une catastrophe – et on ne soigne pas bien en prison. Les personnes se font soigner si elles en ont envie – elles le font en général – mais surtout, les ruptures de soins sont nombreuses.
Ainsi, quand une personne détenue est hospitalisée pour de gros troubles psychiatriques à l'UHSA, qui est une unité d'hospitalisation normale autour de laquelle un système de surveillance pénitentiaire est mis en place, elle y reste un mois ou deux, les hospitalisations en psychiatrie étant souvent longues. Chaque jour, elle va voir un ou deux médecins, des internes et des infirmiers, va participer à des activités et, quand elle reviendra à la maison centrale, elle se retrouvera au quartier arrivant. Il m'arrive alors de ne pas réussir à voir cette personne pendant une semaine. Elle se retrouve enfermée, sans participer à aucune activité. Alors, c'est logique et prévisible : elle arrête son traitement et risque de rechuter.
Nous savons que dans le cas des troubles psychiatriques de type schizophrénie – je rappelle qu'il y a dix fois plus de schizophrènes en prison que dans la population générale –, l'arrêt et la reprise des traitements entrainent des résistances à ceux-ci. L'organisme répond plus mal aux propositions thérapeutiques et il devient de plus en plus difficile – parfois même impossible – de soigner. Il y a donc tout un engrenage qui fait que l'on soigne mal en prison, malgré les stratégies et activités que nous développons.
Il est compliqué de dire si quelqu'un est malade ou non au stade du diagnostic et de l'évaluation. Cela ne s'apprend pas en un stage de quinze jours. Les surveillants, avec lesquels nous nous entendons très bien, ont la possibilité de faire des stages et ils en font, pour comprendre la pathologie psychiatrique. Toutefois, ce n'est pas en un stage que l'on peut parvenir à comprendre des choses qu'il faut des années pour réussir à évaluer. Leur regard reste différent, ce qui est normal.
Quant aux préconisations pour la suite, n'étant pas ministre de la Santé et ne désirant pas l'être, je ne m'avancerai pas.
Je suis liée au secret médical pour les personnes que je reçois mais, vous le savez, les dossiers médicaux sont saisis quand ce type d'événements dramatiques se produisent.