Je commencerai par présenter mes missions mais souhaiterais dire au préalable que je suis touchée par votre invitation, qui me donne l'occasion d'évoquer les prises en charge en milieu pénitentiaire.
Je suis médecin psychiatre et praticien hospitalier. J'ai pris mes fonctions de responsable de l'unité psychiatrique en milieu pénitentiaire au sein de la maison centrale d'Arles en juin 2013, avant de devenir aussi chef de service des trois unités en milieu pénitentiaire de Tarascon, Pontet et Arles, ainsi que des unités rattachées au centre hospitalier de Montfavet. Depuis deux ans, je suis également chef de pôle des unités pénitentiaires et des unités pour malades difficiles (UMD).
Les documents contenant les questions relatives à cette audition m'ont été remis il y a quelques jours, ce qui m'a permis de préparer mon intervention. J'ai rapidement compris que l'essentiel de ce que vous souhaitiez savoir concernait la notion de dangerosité et les circuits suivis par ce que nous appelons les signalements, autrement dit la question de la communication entre le système de santé et les services pénitentiaires.
Pour répondre, je vais devoir présenter brièvement le fonctionnement de l'unité sanitaire psychiatrique en milieu pénitentiaire. Je commencerai par une description de ses moyens, avant d'aborder son fonctionnement et de dresser un état des lieux de la santé mentale de la population carcérale de la maison centrale.
Le personnel médical travaillant en milieu pénitentiaire dépend du ministère de la Santé, depuis 1994 seulement. Ses missions répondent donc aux contraintes, aux règles, aux codes de déontologie et aux plans quinquennaux des hôpitaux de rattachement. Dans le cas de la maison centrale d'Arles, l'hôpital de Montfavet et le centre hospitalier d'Arles – pour la partie relative à la médecine somatique – sont les deux hôpitaux référents.
Les liens entre les institutions de santé et l'établissement pénitentiaire sont décrits dans un guide, qui est édité conjointement par les ministères de la Justice et de la Santé et constitue un peu notre bible : le guide méthodologique « Prise en charge sanitaire des personnes placées sous main de justice », dont la dernière version date de 2019.
Mon rôle, en tant que chef de pôle, consiste à organiser les soins psychiatriques afin d'assurer, sur le modèle des dispositifs de soin de droit commun, la mise en place de l'ensemble des activités destinées à la population carcérale. Celles-ci comprennent les consultations, les entretiens et les activités thérapeutiques de groupe. Elles se déroulent dans des locaux dédiés.
L'équipe de soins psychiatriques fonctionne selon le modèle des centres médicaux psychologiques, réalisant des prises en charge ambulatoires puisqu'il s'agit d'une structure de soins de niveau 1. Nos soins s'adressent aux détenus et reposent sur deux principes incontournables : d'abord la garantie du secret professionnel et de la confidentialité, mais aussi l'accès libre aux soins. Vient donc nous voir qui veut, sur la base du volontariat.
L'équipe psychiatrique de la maison centrale d'Arles est petite et comprend théoriquement : 1 équivalent temps plein (ETP) de médecin psychiatre, 1 ETP de psychologue et 3 ETP d'infirmiers. De plus, nous bénéficions d'un peu de temps de travail sur des postes d'assistante sociale, de cadre et de secrétariat. Les postes sont tous pourvus à l'exception de l'ETP de médecin psychiatre, réduit à 0,6 au lieu de 1, en raison des difficultés rencontrées pour recruter des praticiens.
Dans l'ensemble du pôle dont je suis responsable, l'effectif ne correspond qu'à la moitié de l'effectif théorique, en raison de ces difficultés de recrutement. Cependant, j'ai toujours veillé à ce que l'effectif de la maison centrale d'Arles soit maintenu.
Les locaux de l'unité sanitaire, communs aux équipes de soins psychiatriques et somatiques, ne permettent l'accueil simultané que de trois personnes détenues, tout en étant soumis à des règles de circulation très restrictives pour respecter un objectif de sécurité que nous pouvons comprendre.
Nous sommes parfois six intervenants à souhaiter travailler dans deux pièces, ce qui pose des difficultés. Travailler dans des lieux si petits avec des contraintes si fortes nous a conduit à proposer, au fil des années, le développement d'activités de soin dans des lieux non conventionnels et non dédiés, hors les murs de l'unité sanitaire, avec l'aide et l'appui de l'administration pénitentiaire. C'était la seule possibilité pour parvenir à exercer notre activité de soin. À titre d'exemple, nous mettons régulièrement en place des consultations, des activités thérapeutiques, des groupes de parole et des repas thérapeutiques dans les quartiers – quartier d'isolement, quartier arrivant – et en détention ordinaire.
S'il nous arrive d'effectuer des entretiens avec des personnes menottées pour des raisons de sécurité, tous nos actes de soin se déroulent en dehors de la présence, du regard et de l'écoute du personnel pénitentiaire.
Les soins psychiatriques consistent également en un accompagnement visant à une réinsertion sociale des personnes en situation de handicap psychique. Ainsi, nous avons développé, au sein de la maison centrale et pour certains patients atteints de troubles psychiatriques, un partenariat très étroit avec le service d'insertion et de probation, en relation avec le juge d'application des peines. Grâce à cette coopération, nous avons obtenu la création d'une équipe mobile transitionnelle pour l'accompagnement à la sortie et le retour à la vie ordinaire de nos patients.
J'en viens à la description du parcours de soins en milieu carcéral, des différentes étapes possibles et des moyens disponibles. Toute personne détenue est reçue, dès son arrivée à la maison centrale d'Arles, pour une visite médicale avec le médecin généraliste de l'unité sanitaire et pour un entretien d'évaluation psychiatrique avec les infirmiers du secteur psychiatrique, dans le cadre du parcours arrivant.
Les éléments constitutifs du dossier médical sont acheminés avec le patient depuis l'établissement dont il arrive, tous nos patients venant d'autres établissements. Quand ces dossiers sont incomplets, une demande de complément d'information est envoyée de façon systématique et rapide à nos services homologues.
Chaque semaine, l'équipe psychiatrique se réunit afin de travailler sur le parcours de soins des différentes prises en charge. Dans ce cadre, nous étudions et traitons les comptes rendus des entretiens des arrivants, les demandes de consultation et les signalements, quand on porte à notre connaissance certains troubles ou comportements. Nous proposons alors des stratégies, des indications de prise en charge et une participation à différents groupes thérapeutiques. L'accord de la personne concernée est demandé.
J'en viens à la spécificité du travail en milieu pénitentiaire, qui tient à l'articulation de l'organisation fonctionnelle avec l'administration pénitentiaire et aux caractéristiques de la patientèle.
Les logiques de travail des services de santé et du service de l'administration pénitentiaire sont souvent différentes, parfois contradictoires. La communication est nécessaire et passe par différents canaux. D'abord, nous utilisons les canaux formels que représentent les différentes réunions d'organisation, dont les commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) de prévention du suicide, qui ont lieu le vendredi matin. J'assiste à toutes les CPU quand cela m'est possible. Au cours de ces réunions, les situations complexes, inquiétantes ou manifestement pathologiques nous sont signalées. Nous recevons aussi des signalements par voie de mail.
Et puis, nous avons recours aux canaux informels : nous nous rencontrons dans les couloirs, nous recevons des patients, et toute personne peut signaler une situation inquiétante préoccupante.
Nous traitons systématiquement tous les signalements. À ce titre, nous rencontrons toute personne ayant fait l'objet d'un tel signalement, soit sur proposition d'entretien, soit en nous rendant dans sa cellule.
Pour le patient en détention, accéder au soin se fait sur la base du volontariat. Toutefois, dans une situation de crise, la réponse médicale peut être apportée sur le mode de la contrainte. Lorsqu'au cours d'une évaluation, nous identifions des troubles du comportement évoquant une décompensation psychiatrique avec risque de passage à l'acte auto ou hétéro-agressif, nous pouvons et devons déclencher une mesure d'hospitalisation « soins sur décision d'un représentant de l'État » (SDRE). Dans ce cas, on ne demande pas l'avis de la personne et on l'hospitalise. Cette mesure peut être prise à toute heure du jour ou de la nuit, selon des protocoles très précis et codifiés, même en l'absence du médecin.
En cas d'hospitalisation psychiatrique d'urgence, les patients sont accueillis dans les services de l'hôpital de proximité, au centre hospitalier de Montfavet et dans les UMD pour les personnes en provenance de la maison centrale d'Arles.
L'ouverture d'une nouvelle unité d'hospitalisation, dont le financement a été récemment accepté, permettra d'améliorer le fonctionnement de ce circuit, qui pénalise aujourd'hui les UMD, celles-ci n'étant pas conçues pour l'accueil d'urgence.
D'autres possibilités d'hospitalisation existent pour les personnes présentant des troubles psychiatriques : à l'hôpital de jour aux Baumettes, sur la base du volontariat, ou à l'unité d'hospitalisation spécialement aménagée (UHSA) de Marseille, si la personne est consentante et si son état ne nécessite pas de procédure d'urgence.
Qui hospitalise-t-on ? Les troubles psychiatriques observés dans la population carcérale sont les mêmes que ceux qui touchent la population générale, mais la répartition change et l'expression clinique est plus ou moins exacerbée, selon le type d'incarcération.
Le mois dernier, une étude sur la santé mentale en population carcérale a été effectuée. Nous l'attendions depuis fort longtemps puisque la dernière remontait à 2006. Elle a été réalisée auprès de détenus masculins effectuant leur peine en maison d'arrêt et non en maison centrale. L'étude souligne une très forte proportion de troubles psychiatriques – autour de 60 % – parmi la population sortante, avec une grande prévalence de troubles addictifs. La proportion de troubles psychotiques est de l'ordre de 11 %, alors que les différentes études font état d'une prévalence de 3 % dans la population générale. Les personnes présentant des troubles psychotiques – troubles impliquant la possibilité de comportements violents – sont donc quatre fois plus nombreuses en maison d'arrêt que dans la population ordinaire.
La santé mentale des détenus de la maison centrale est un peu différente puisqu'on observe une surreprésentation des troubles psychiatriques. Selon les chiffres de mon dernier bilan, sur 130 personnes incarcérées, plus d'une centaine reçoit des soins réguliers pour des troubles regroupant toutes formes de souffrances ou de pathologies mentales, telles que des états dépressifs ou de stress. Selon le dernier bilan d'activité de notre unité sanitaire, une quarantaine de personnes, soit 30 % de la population détenue, présentent ou ont présenté des troubles psychotiques, soit dix fois plus que dans la population générale et trois fois plus que selon la récente étude que j'ai citée.
Sur ces quarante personnes, deux sont actuellement hospitalisées en UMD pour une durée indéterminée et elles ont passé pratiquement tout leur temps d'incarcération en hospitalisation, soit en UHSA soit en UMD. Par ailleurs, quatre personnes sont hospitalisées au sein de l'UHSA depuis plus d'un an. C'est vous dire à quel point leurs troubles sont importants. Enfin, une dizaine de ces détenus font régulièrement des allers-retours entre l'UHSA et la prison, au fil des ruptures de traitement et des rechutes.
Quels sont ces troubles psychotiques ? Ils se manifestent essentiellement par des troubles relationnels, plus ou moins importants et variables en fonction de l'environnement et de l'état de stress de la personne. Dans la symptomatologie, les troubles du comportement prédominent, avec imprévisibilité, perception erronée et sentiment de persécution pouvant conduire à des passages à l'acte auto ou hétéro-agressifs. Surtout, le plus souvent, ces personnes ne se sentent pas malades.
Les traitements médicamenteux dont nous disposons ne permettent qu'un apaisement de ces troubles, dont on ne peut guérir. Une amélioration nécessite un accompagnement au quotidien, dans le cadre d'une réhabilitation psycho-sociale. Quand je dis qu'on ne peut pas guérir, je suis un peu rapide, et il existe des situations dans lesquelles les choses s'apaisent, surtout quand les troubles sont secondaires à des prises de toxiques ou à des états de stress très importants.
La vie carcérale, avec ses contraintes et ses règles, ne permet pas d'organiser les soins autrement que de façon partielle. Les ruptures de soins sont extrêmement fréquentes, en raison du déni de la maladie mais aussi des difficultés rencontrées pour accéder aux soins. Ayant trouvé que nous voyions moins nos patients, nous avons récemment mené une étude pendant un mois, qui a montré que jusqu'à 50 % des consultations psychiatriques et des entretiens psychologiques n'étaient pas honorés. On ne nous présentait pas les patients. Nous estimons le refus de soin à environ 10 % et, en général, quand les gens demandent à nous voir, ils viennent, surtout à la maison centrale.
Arrêt du traitement, reprise de la symptomatologie et parfois passage à l'acte : un cercle infernal se met en place, qui ne permet ni l'apaisement ni la construction d'un projet de sortie ou d'un aménagement de peine, mais qui peut même se solder par une aggravation de la peine. Les graves troubles psychiatriques observés chez certaines personnes incarcérées ont souvent constitué l'un des éléments constitutifs du passage à acte les ayant conduits en détention. Les experts et les tribunaux ont considéré leur état de santé comme étant compatible avec l'incarcération. Au fil des années, les moyens alloués aux soins en milieu pénitentiaire ont fortement augmenté, mais la prise en charge consiste souvent à attendre une sortie dont la perspective s'éloigne au gré des rechutes. L'expression de la pathologie s'aggrave alors.
Pour les personnes atteintes de troubles graves, l'organisation de la sortie nécessite une anticipation afin que les soins se poursuivent en milieu ordinaire. L'absence de structure adaptée, en matière d'offre de soins et de lieux de vie, représente un obstacle qui explique la frilosité des juges d'application des peines pour ordonner des aménagements de peines pour raisons psychiatriques, voire des suspensions de peines – je crois qu'il n'y en a jamais eu, ou seulement une jusqu'à maintenant.
Pour conclure, les personnes atteintes de troubles psychiatriques effectuent très souvent la quasi-totalité de la durée de leur peine en prison. Elles restent parfois même au-delà, en raison de condamnations pour des faits commis en prison. Elles voient généralement leur état s'aggraver au cours de la détention et l'on peut craindre que leur retour en milieu ordinaire soit synonyme sinon de récidive pénale, au moins de rechute psychiatrique.