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Intervention de Dominique Simonnot

Réunion du mercredi 22 mars 2023 à 14h30
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Dominique Simonnot, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté :

En maison centrale comme en maison d'arrêt, la protection physique est très mal assurée. La circulation de la drogue en prison – une réalité que l'on ne peut plus ignorer – en est un exemple révélateur. Au cours des nombreuses audiences correctionnelles auxquelles j'ai assisté, j'ai souvent entendu des juges dire à la personne concernée qu'au moins, en détention, elle serait sevrée et soignée. Mais ce n'est pas le cas. Soit les juges ne le savent pas, et c'est grave ; soit ils le savent, et ce qu'ils disent est faux. La drogue a entraîné l'émergence de nouveaux métiers en détention : les lanceurs, qui font parvenir la drogue ou d'autres marchandises dans l'enceinte de la prison ; et les ramasseurs, contraints par d'autres détenus de conserver les projections dans leur cellule et d'encaisser les punitions à leur place. Les commissions de discipline donnent lieu à des scènes scandaleuses, les détenus refusant d'identifier les véritables responsables par peur des représailles. La détention est en effet un lieu où l'on a peur – de la cohabitation avec des codétenus que l'on ne connaît pas et devant lesquels on fait ses besoins naturels, des cafards, des punaises de lit. L'intégrité corporelle n'y est pas assurée ; la dignité humaine non plus.

À la suite d'une visite à la prison de Bordeaux-Gradignan, surpeuplée à 245 %, nous avions formulé des recommandations au garde des Sceaux. Il nous avait répondu que s'il faisait sombre dans les cellules, c'est parce que les détenus obturaient les fenêtres avec des linges. Or, la température y dépassait les 45 degrés : les détenus utilisaient des linges mouillés, car ils n'avaient pas d'autre solution pour rafraîchir l'atmosphère. De même, la raison pour laquelle il n'y avait plus de porte dans les toilettes est que les détenus s'en servaient comme table, le mobilier n'étant pas adapté à la surpopulation des cellules. Les détenus sont contraints de dormir sur un matelas à même le sol, en se bouchant le nez et les oreilles avec du papier hygiénique, par peur des cafards. À Toulouse-Seysses, un détenu a contracté la leptospirose après avoir ramassé des mégots contaminés par de l'urine de rat. Récemment, un directeur de prison a dû privilégier l'extraction médicale d'une femme qui souffrait d'une grossesse difficile, au détriment d'un détenu atteint d'un cancer des testicules, qui en est mort par la suite. Je ne dis pas que son décès est lié à l'absence d'extraction, mais cela est révélateur des défauts dans la protection physique des personnes. Il y a quelque temps, un détenu m'a écrit pour me raconter qu'en se rendant aux toilettes la nuit, il s'était heurté au cadavre de son codétenu, qui venait de se pendre.

Je suis profondément saisie de constater que nous nous sommes tous habitués à cette situation. Ma colère me paraît saine : à chacune de ses visites, le CGLPL constate de nouvelles horreurs. Entasser les détenus à trois dans une cellule, est-ce les protéger ? Certains nous expliquent manger le moins possible pour éviter de devoir se rendre aux toilettes, tandis que d'autres attendent pour cela le moment de la promenade de leurs codétenus.

Selon une étude récente portant sur plus de mille détenus, 67 % des sortants de prison souffrent de troubles graves et d'addictions. Une majorité de détenus a subi des abus. Ce dernier point ne concerne pas la prison, à laquelle on demande de réparer ce que personne n'a réussi à réparer avant.

L'ultrasécurité n'est pas propice à la sérénité. Ma conviction – qui m'a valu d'être traitée de « droit-de-l'hommiste » par le passé – est que chaque nouveau degré franchi dans la sécurité fait augmenter les risques de violence, puisque l'esprit humain cherchera toujours à le contourner. Les fenêtres des prisons sont par exemple dotées de caillebotis : je ne connais pas une seule cellule qui ne soit pas découpée pour pouvoir faire le yoyo la nuit. Tous les filins et dispositifs de protection ne servent qu'à stimuler l'inventivité des détenus pour les contourner.

Cette escalade doit appeler notre vigilance. Au contraire, les surveillants doivent apprendre les techniques de désescalade de la violence – ils sont nombreux à le réclamer. Lors d'une visite, j'ai assisté à l'agression sauvage d'un surveillant par un détenu, qui lui a versé une casserole d'eau bouillante sur la tête. Cela m'a marquée à vie. Quatre personnes ont dû intervenir pour maîtriser le détenu, qui était fou comme un lapin. Il hurlait : « Sur ma mère, j'en ai rien à foutre », « J'ai fait ça comme j'aurais acheté des bonbons », « Je recommencerai », « Je t'emmerde », « J'ai tué ma femme, je te tuerai aussi », etc. Quelque chose d'assez beau s'est alors passé. Tous les détenus – c'était au quartier d'isolement – se sont mis à crier : « Espèce de salaud, c'est un bon surveillant ! Si on te retrouve, on te pète la gueule. » Cela a dû mettre un peu de baume au cœur du surveillant, qui a été emmené aux urgences. Ce que je veux dire c'est que le détenu responsable de l'agression, placé dans un quartier d'isolement, était complètement en dehors du monde. Or ni les surveillants ni les détenus ne sont infirmiers psychiatriques ; ils ne peuvent pas l'être.

À la centrale d'Arles, nous avions noté la présence de détenus et de surveillants facilitateurs, qui avaient été formés aux techniques de désescalade. Pour une raison regrettable que j'ignore, ils ont progressivement disparu du paysage de la détention. Au nombre de six en 2013, ils n'étaient plus que deux en 2018.

Les agressions sont nombreuses, non seulement des détenus contre le personnel, mais aussi entre les détenus et de la part du personnel. En raison de la surpopulation des maisons d'arrêt, il est impossible qu'il en soit autrement. Lors du covid-19, grâce aux ordonnances de libération, les directeurs comme les surveillants ont relevé une gestion plus saine et plus apaisée de la détention, dont chacun espérait qu'elle se poursuivrait. Il n'en a rien été.

Nous devons trouver un moyen de remédier à cette situation et, notamment, d'avancer sur la conception des nouvelles prisons, situées dans des lieux trop éloignés pour que les liens familiaux soient maintenus. Je prends souvent le bus-prison, qui assure la liaison entre la gare et l'établissement. Celui-ci passe toutes les 30 minutes, pour un trajet compris entre 45 minutes et une heure ; si vous manquez l'heure du parloir, vous pouvez immédiatement faire demi-tour.

L'ultrasécurité ne favorise pas la sérénité.

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