Les montants proposés étaient significativement plus hauts que la moyenne de ce qui est susceptible d'être prononcé par les tribunaux administratifs. Je pense qu'il y avait là une volonté manifeste de l'administration, dans cette affaire particulière, de proposer une indemnisation plus importante que celle qui résultait des barèmes « classiques » pour des agressions de détenus ou des décès en détention. Il y a donc très certainement eu une volonté, de la part de l'administration, d'essayer d'être plus généreuse que si elle avait été simplement condamnée par le tribunal administratif.
Votre question appelle par ailleurs de ma part une réflexion sur les questions que cette commission est susceptible de se poser s'agissant des préconisations qu'elle pourrait faire. En tant qu'administrateur de l'Observatoire international des prisons (OIP), je dirais que le cas d'Yvan Colonna est emblématique et symptomatique. Il met en lumière le statut de DPS, bien sûr, mais aussi la question des violences en détention. Cette commission doit évidemment mener une réflexion sur la question du statut de DPS. L'administration pénitentiaire a besoin de statuts distincts – on ne peut pas traiter tous les détenus de la même manière –, mais le statut de DPS, qui est une marque au fer rouge et qui laisse une très grande liberté à l'administration pour organiser des détentions très exceptionnelles, fait partie des statuts que nous combattons depuis très longtemps au sein de l'OIP.
C'est un statut qui entraîne un très grand nombre de sujétions pratiques. Nous avons effectivement évoqué les difficultés qu'il peut poser en termes d'organisation mais, au-delà, il suppose une surveillance particulière, tout déplacement se faisant de façon entravée. Le cas échéant, des surveillants particuliers sont affectés auprès de certains détenus. Les agents de ces équipes régionales d'intervention et de sécurité (Eris) interviennent masqués, casqués. L'obligation de surveillance implique également des réveils réguliers – du moins la cellule du détenu est rallumée. Ce statut est donc évidemment attentatoire aux libertés des détenus et il porte atteinte aussi bien à leur dignité qu'à leur droit à une vie personnelle.
Il est donc important que votre commission s'interroge sur l'évolution de ce statut et sur la manière dont il doit être mieux encadré. Dans la mesure où il touche à des libertés fondamentales, une évolution réglementaire et législative devra certainement être opérée afin de garantir l'absence d'arbitraire ou du moins d'un caractère discrétionnaire trop important de la part de l'administration. Dans notre affaire, la question de l'existence d'un lien entre le lieu d'incarcération et l'existence d'un statut est également susceptible d'être posée.
Mais cette question sur le statut de DPS ne doit pas en occulter une autre, tout aussi grave et relative à un phénomène potentiellement beaucoup plus généralisé – on a vu que le statut de DPS ne concernait que certains détenus –, qui est celle des violences en détention. Ma consœur a avancé le chiffre de 9 000 cas répertoriés et elle a parfaitement raison de le souligner, car chacun sait que ces 9 000 cas ne recouvrent pas du tout la réalité des violences en détention. En effet, énormément de violences sont tues, de la part des détenus eux-mêmes, pour éviter des représailles, ou au nom d'une forme de code d'honneur qui veut que les détenus ne se plaignent pas des violences qui peuvent exister entre eux. Mais même si l'on s'en tient à ce chiffre de 9 000 agressions sur une population qui oscille, hélas, entre 65 000 et 70 000 personnes, cela représente un taux de violence de 12 à 13 %.
À titre de comparaison, le taux de violence dans la société française – dont on nous explique qu'elle est particulièrement soumise à l'insécurité – est de 1,5 %. Le taux de violence connu en détention est donc 10 fois supérieur à celui de la société française. La question est de savoir ce que l'on fait pour y remédier. En réalité, nous l'avons évoqué, les violences en détention sont traitées par l'administration pénitentiaire uniquement par le biais d'actions disciplinaires. Les auteurs de violences sont susceptibles d'être poursuivis disciplinairement ou pénalement. Cela est évidemment insuffisant pour prévenir ce type de difficultés.
Concernant Yvan Colonna, je vous ai indiqué qu'une disposition spécifique de la loi pénitentiaire prévoyait l'engagement de la responsabilité de l'administration sans faute en cas de décès d'un détenu en détention dû aux violences d'un autre détenu. Je le dis comme s'il s'agissait d'une évidence mais, au début XXe siècle, la responsabilité de l'administration, y compris en cas de décès, ne pouvait être mise en cause qu'en cas de faute grave de celle-ci. Il y a une grande évolution du droit pénitentiaire à travers celle de la jurisprudence du Conseil d'État, en particulier entre les années 2005 et 2015, qui, petit à petit, a introduit des exigences, des libertés fondamentales, sous l'aiguillon des décisions de la CEDH et sous l'aiguillon des contentieux menés, entre autres, par l'OIP. Mais il faut bien voir que la détention est un lieu globalement rétif au droit. Le droit s'y introduit de façon forcée, soit à l'initiative du juge, soit à l'initiative du Parlement. Hors cas de violences extrêmes aboutissant à un décès, les violences en détention ne sont susceptibles d'ouvrir droit à une indemnisation de la part de l'administration pénitentiaire qu'à la condition de la démonstration de l'existence d'une faute de l'administration. Or, évidemment, cette faute est souvent extrêmement difficile à rapporter pour des détenus.
Cette commission constitue donc certainement l'occasion de réfléchir à nouveau au statut de DPS et aux conséquences qu'il est susceptible d'avoir pour les détenus qui y sont soumis, mais aussi, je tiens à insister, à cette question des violences en détention qui sont également la cause du décès d'Yvan Colonna.