Avocat spécialisé en droit pénal, je suis intervenu, chronologiquement, à la suite de Me Spinosi puisque Yvan Colonna m'a écrit en 2012-2013. Son combat était de monter un recours en révision, si possible.
À l'époque il a conscience, comme moi, que cela relève du miracle judiciaire, au sens moyenâgeux du terme. Quelques cas ont été répertoriés : le bourreau essayait d'appliquer la sentence, sans succès ; si la personne avait protesté de son innocence, il y avait miracle judiciaire et on mettait fin à la procédure d'exécution. En effet, lorsque je le rencontre en 2013, on dénombre huit affaires révisées depuis 1945, soit une tous les dix ans. Et évidemment, le dossier de M. Colonna devait engendrer les plus grandes crispations du système judiciaire. Nous y étions préparés.
Au cours de ces dix années, un lien très fort, que je qualifierai d'amical, s'est noué entre nous. Je me méfie donc de ma propre subjectivité, mais je reste vigilant et fais de mon mieux pour rester objectif.
Les combats étaient multiples. Nous nous sommes associés avec Me Spinosi, notamment sur le terrain du maintien au répertoire des DPS. D'abord parce qu'il ne s'agit pas d'un simple répertoire. Lorsque vous êtes DPS, votre vie de prisonnier est altérée. Le maintien de votre vie privée et familiale est altéré, c'est le moins que l'on puisse dire.
Les mesures de surveillance applicables dans l'établissement sont rappelées par la circulaire du 15 octobre 1982 : « Les cellules sont situées en priorité à proximité des postes de surveillance, la vigilance des personnels doit être renforcée lors des appels, des opérations de fouille, de contrôles de locaux. Il en va de même pour les relations qu'établissent les personnes détenues avec l'extérieur ainsi que pour leurs déplacements hors de leur cellule. La candidature des personnes détenues DPS aux activités offertes en détention ou à un travail doit faire l'objet d'un examen attentif. La réunion dans un même lieu de personnes détenues DPS doit, dans la mesure du possible, être limitée, notamment en maison d'arrêt. »
J'ouvre une parenthèse : il est donc possible d'être DPS et en maison d'arrêt. Le paragraphe suivant le confirme. « L'affectation en maison centrale ou quartier maison centrale sera privilégiée. »
Le texte est éminemment arbitraire car les critères d'inscription au répertoire sont très vagues et sont mal appliqués. L'en-tête de la circulaire indique que les critères tiennent à la dangerosité mais – c'est ainsi que nous l'avons compris avec Me Spinosi – il doit s'agir de la dangerosité actuelle, sans quoi cela n'a pas de sens.
J'ai participé à presque tous les débats contradictoires sur le maintien ou non d'Yvan Colonna au répertoire des DPS. Ces débats étaient ubuesques. Le constat émis par la prison affirmait qu'il s'agissait d'un détenu correct, de confiance, correct avec le personnel et qu'il ne présentait qu'un niveau de risque ordinaire, voire faible. Pourtant, la conclusion était qu'il fallait maintenir le statut de DPS. C'était surréaliste.
Cette incohérence s'explique par le fait que – comme l'a rappelé Me Spinosi – les critères retenus étaient ceux liés à la condamnation. On insistait sur l'appartenance de M. Colonna à la mouvance terroriste corse, en se référant à la condamnation pour des faits passés remontant à 22 ans et au fait qu'il n'était pas établi qu'il aurait entendu rompre tout lien avec cette mouvance. Ce dernier critère est intéressant, car il s'agit d'un critère que les juridictions administratives ont repris systématiquement, hormis le tribunal administratif en 2012 et la cour administrative d'appel en 2014, qui ont suscité une vague d'espoir. Mais comment démontrer qu'il aurait entendu rompre tout lien ? Comment démontrer quelque chose qui n'existe pas ? C'est impossible. Une déclaration de foi ne peut suffire ; on vous répondra : « Vous n'avez pas établi que vous entendez rompre tout lien ». Enfin, le dernier critère était celui du grave trouble à l'ordre public.
Or, ces critères, très vagues, ne sont même pas appliqués. Si l'on avait appliqué ces critères, qui permettent l'arbitraire, Yvan Colonna aurait été radié, en raison de son comportement sans faille. Mais on les détourne, on ne les applique même pas, et on lie à cette inscription au répertoire DPS des conséquences qui ne sont même pas prévues dans le texte. J'ai entendu M. Urvoas affirmer devant cette commission qu'il n'était pas possible de transférer Yvan Colonna puisqu'il était inscrit au registre des DPS. Or cela est faux. Le texte précise que la maison centrale doit être privilégiée, mais il n'est pas interdit d'envisager autre chose. Cela n'est pas impossible. Il s'agit donc de textes dangereux par eux-mêmes et qui, en outre, sont toujours interprétés dans une acception encore plus rigoriste que ce qui est prévu.
Je m'apprête maintenant à formuler une accusation forte – et c'est là précisément que je me méfie de ma propre subjectivité, je le dis en toute transparence. Ces deux dernières années, des incidents disciplinaires ont été retenus à l'encontre Yvan Colonna. En 2021, on lui reproche d'avoir pris des médicaments sans ordonnance. Cela prête à sourire. Son compagnon d'emprisonnement lui laisse ses cachets – délivrés sur prescription médicale – parce qu'il a mal au dos. Il les prend sans consultation médicale et, lors d'une fouille, on trouve ces cachets sur lui. Cela constituera un incident disciplinaire.
En mai 2020, il « cantine » pour acheter un lecteur MP3 par l'intermédiaire de l'administration pénitentiaire. C'est permis. En revanche, il est interdit d'utiliser des cartes SD, alors qu'il s'agit pourtant du format correspondant à ce type de lecteur. Vous avez donc le droit d'acheter le lecteur, mais pas la carte. Évidemment, les prisonniers « cantinent » pour le lecteur et se débrouillent pour se procurer des cartes. On retrouve trois cartes en possession d'Yvan Colonna, qu'il utilise pour écouter de la musique. Cela donnera lieu à une première procédure disciplinaire. La deuxième concerne les cachets. Il sera également poursuivi pour être en possession d'une montre pouvant être connectée. Il s'agit d'une montre GPS qu'il portait depuis des années et dont il se servait pour courir. L'affaire est pendante. Le tribunal administratif a encore mis deux ans pour organiser une audience. Le fait qu'il possédait cette montre était connu de tous, il ne s'en cachait pas et pratiquait son sport avec. Pourtant, en janvier 2021, on décide d'en faire un incident. En février 2021, Yvan Colonna proteste et fait une grève de la faim, ce qui donne à nouveau lieu à une procédure disciplinaire. J'ai préparé un petit dossier regroupant ces différentes procédures.
J'en suis venu à me demander s'il ne s'agissait pas, pour la direction de la prison, d'habiller un peu mieux le dossier disciplinaire, pour le faire correspondre un peu plus à ce que l'on attend d'un DPS. Il est tellement inepte d'intervenir sur des affaires de cet ordre que cela pose question. Parce que, évidemment, à force, le décalage entre le constat de son comportement en prison et la conclusion définitive du processus de décision, qui préconisait le maintien au répertoire des DPS, était la preuve en elle-même de l'arbitraire de cette procédure. Ce décalage devenait peut-être trop grossier. Je vous livre donc cette interrogation en l'état.
Dans ce combat, j'ai été, par chance, rejoint par Emmanuel Mercinier et Stella Canava et nous sommes, pour les parents, pour son fils, partie civile dans le dossier d'enquête. J'ai suivi avec une attention passionnée les déclarations des directeurs d'établissement, affirmant devant cette commission que Franck Elong Abé avait un bon comportement à Arles, ce qui justifiait qu'il puisse être « auxi », comme on dit, et se promener dans la prison pour effectuer certaines tâches. La commission d'enquête a depuis découvert cinq incidents le concernant, dont un qui remonte à quelques jours seulement avant son affectation, ce qui ne peut manquer de nous interroger. Il me semble, mais je peux me tromper, que la commission a soulevé un lièvre lorsqu'elle a interrogé différents représentants du renseignement pénitentiaire en évoquant l'hypothèse que Franck Elong Abé soit une source.
La réponse qui a d'abord été faite devant cette commission par les deux cheffes du renseignement pénitentiaire – l'actuelle et l'ancienne – et le délégué au renseignement pénitentiaire, était calquée sur la même construction. On vous a dit dans un premier temps que cette question relevait du secret défense et qu'il n'était même pas possible de nier. Puis, dans un deuxième temps, le profil de Franck Elong Abé en tant que source de renseignement intéressante était dénigré. On faisait valoir le fait qu'il était isolé, caractériel, etc. La première réflexion qui s'impose est que, s'il n'était pas une source pour le renseignement pénitentiaire, il était possible de le préciser. Cela ne constitue pas en soi une atteinte au secret défense. Cette construction de réponse, par conséquent, m'interpelle, mais elle explique peut-être aussi – si cela devait être confirmé – pourquoi, malgré les incidents, Franck Elong Abé devient « auxi ».
Cela explique peut-être son mépris souverain des caméras de surveillance. Cette agression a en effet duré dix minutes et elle a été filmée. Il y a plusieurs problèmes à cet égard. Le premier est celui du visionnage en direct. Le second est celui de l'opération de maintenance : la société Sésame conduit une opération de maintenance sur les caméras à partir de 9 h 30 ce jour-là. Or l'agresseur agit comme s'il en était informé. Il s'agit peut-être d'une coïncidence, absolument incroyable, mais peut-être pas. S'il est une source humaine du renseignement, il se peut qu'il ait glané ici ou là quelques informations auxquelles n'aurait pas eu accès un prisonnier ordinaire.
Je suis donc venu vous livrer cette interrogation, que vous avez nourrie. Avec mes confrères, nous avons demandé que toutes les images des 280 caméras soient gelées, jusqu'à cinq semaines avant l'assassinat. Sur ce point, nous avons été entendus par les juges d'instruction. Nous avons également lu avec effroi qu'à l'occasion d'une commission de discipline concernant l'un des surveillants, l'administration pénitentiaire annonçait avoir détruit ces bandes vidéo. Mais, heureusement, la demande formulée a permis d'obtenir une copie de travail qui est actuellement exploitée dans le dossier d'instruction.
D'une certaine manière, la famille et nous essayons, par les demandes d'actes que nous pouvons soumettre aux juges d'instruction, de lever toutes les questions qui pourraient se poser sur cette situation et sur le rôle exact de Franck Elong Abé vis-à-vis de l'administration pénitentiaire et, peut-être, du renseignement pénitentiaire. Nous avons aussi soutenu votre interrogation en demandant aux juges d'instruction, précisément sur ce point, la levée du secret défense, qui me semble fondamentale dans cette affaire.
S'intéresser à l'affaire d'Yvan Colonna, c'est s'intéresser de très près à l'administration pénitentiaire. Je voudrais lancer un avertissement à cette commission : l'administration pénitentiaire est assez championne en matière de « novlangue », de langage édulcoré. Par exemple, quand un directeur de prison parle de la « détention », il entend par là les cellules, l'endroit où l'on garde les prisonniers. Il s'agit d'un mot très étrange en lui-même. Tout comme l'est le mot « détenu », d'ailleurs, qui renvoie à une notion de possession très forte et très étrange lorsque l'on parle d'êtres humains. L'administration pénitentiaire a donc une façon très étrange et très édulcorée de présenter les choses, qui peut masquer des réalités extrêmement cruelles. Cela était réellement le cas pour Yvan Colonna.
Nous avons ainsi nourri la conviction qu'une forme de vengeance froide, bureaucratique, d'État, s'exerçait contre lui, ce qui explique notamment le maintien au répertoire des DPS quoiqu'il arrive. Pour vous donner un exemple, quand Me Spinosi et moi-même demandions un rendez-vous pour aller voir Yvan Colonna, nous devions attendre 48 heures. Si nous ne prévenions pas 48 heures à l'avance, on nous répondait qu'il n'était pas possible d'organiser la rencontre. Pourquoi ? Parce que ces 48 heures constitueraient le délai nécessaire pour organiser le trajet de la cellule au parloir avocat afin de s'assurer que le détenu ne rencontre personne sur le chemin.
Si l'on compare ces délais et ces précautions avec la réalité de ce qui s'est passé, on est effaré par le contraste. Comment peut-on être aussi rigoriste avec les avocats, avec le prisonnier, et en même temps laisser un assassinat se commettre pendant dix minutes sans que rien ne se passe ? C'est assez sidérant.
Je partage l'avis de mes confrères sur le statut de DPS. Je pense qu'il doit être abrogé, en tout cas sortir du domaine réglementaire et relever de la loi. C'est à la loi de définir les critères et de prévoir des recours effectifs, qui puissent être traités dans des délais raisonnables. Les critères, quant à eux, doivent être rationnels, objectifs, et offrir de véritables garanties quant à l'application de cette surveillance particulière. Pour l'avenir, nous sommes dans l'inconnu. Nous avançons pas à pas, nous relevons des incohérences et nous serons vraiment prompts à aller jusqu'au bout de cette affaire.