Je vous remercie de nous recevoir et de me permettre d'exposer la position d'Alain Ferrandi – que j'assiste depuis 2012-2013 – et la mienne. J'ai constaté d'ailleurs que les premiers recours remontaient à cette époque, suite au maintien du statut de DPS par une décision 2012. En aparté, je précise que ces actions durent environ quatre ans. La dernière, engagée en 2019, n'est toujours pas jugée. Je reviendrai sur ce point en conclusion.
Je suis intervenue uniquement dans le cadre de la radiation du registre des DPS, sur les questions de transfert et sur des questions visant des autorisations de sortie pour raisons familiales – assister aux obsèques de son père, rendre visite à sa mère malade, etc.
S'agissant des recours, nous avons très vite compris que la loi ne serait pas d'un grand secours. Comme l'expliquait à l'instant mon confrère, nous nous sommes en effet heurtés à de nombreuses embûches, ce qui explique que le résultat ait été négatif.
Aujourd'hui, nous sommes auditionnés dans le cadre de l'enquête ouverte à la suite de l'agression mortelle d'Yvan Colonna, laquelle a été un choc pour tout le monde. Mon client en a été extrêmement meurtri, mais pas surpris outre mesure compte tenu des défaillances et de l'arbitraire qui affectent la situation pénitentiaire en général, et les détenus que nous avons défendus en particulier. L'issue pour Yvan Colonna s'est en effet révélée fatale et témoigne de façon paroxystique de ces défaillances et de cet arbitraire.
Ces mots ne sont pas prononcés au hasard, pour marquer le coup ; c'est une réalité. Il s'agit d'un système opaque, d'une zone de non-droit, qui laisse la place à des interventions qui sont tout sauf de nature juridique ou judiciaire et pour lesquelles on ne peut exclure une intention ou une position politiques.
Nous avons engagé pour M. Ferrandi beaucoup moins de recours que ce qui a été fait pour M. Colonna. Nous les avons maintenus pour le principe – il y en a tout de même environ trois en cours –, pour aller éventuellement les plaider plus tard devant les juridictions européennes, tout en sachant que le système laissait une voie totalement ouverte à cet arbitraire, arbitraire qui est en effet clairement induit par la circulaire DPS de 2012.
Celle-ci est en effet venue modifier celle de 2007 en raison d'un arrêt du Conseil d'État de 2009. Le préambule de cette circulaire indique qu'en cas de non-respect du contradictoire – que je traduis par « simulacre de contradictoire » –, les décisions seront censurées. Sa seule vocation est d'inciter à faire semblant de respecter le contradictoire. Par exemple, lorsque la circulaire évoque la communication du dossier au conseil, elle fait état en même temps de la possibilité de ne pas le communiquer, au motif que la communication du dossier peut parfois présenter un danger. Or, rien n'est dit sur ce qui est susceptible de présenter un danger, ni sur l'autorité compétente pour en décider.
Je rejoins donc les propos de mon confrère Spinosi sur les critères d'application de cette circulaire, qui oscillent entre le fantasme des évasions – alors qu'Alain Ferrandi a été détenu à Poissy pendant 17 ans sans le moindre incident –, le fantasme du maintien de l'appartenance à une organisation politique sans la moindre preuve et, à court d'arguments, des considérations sur la personnalité de la victime, ce dernier critère ayant été ajouté aux critères retenus par la circulaire.
Celle-ci permet absolument tout et provoque par la suite des défaillances totales du système pénitentiaire. Le statut de DPS entraîne d'importantes contraintes, sans aucun contrôle réel : réveil toutes les trois heures, cellule placée devant les miradors, entrave des chevilles et des poignets – l'image même du bagnard –, escortes de niveau 3 pour recevoir des soins, etc.
Or, quand on ajoute les défaillances et l'arbitraire, on en arrive à l'agression de M. Colonna. Par exemple, les conditions de l'application du statut de DPS à son agresseur mériteraient d'être explicitées, mais je ne rentrerai pas dans ce débat, n'ayant pas à m'en occuper. Néanmoins, en tant que juriste et avocate, je ne peux manquer de m'étonner que des détenus corses soient placés pendant 20 ans sous statut de DPS, avec toutes les contraintes que cela implique, tandis qu'un autre détenu, au passé très inquiétant, circule librement. Cette application de la loi semble, je le répète, totalement arbitraire et entraîne, sur un plan général, les violences considérables qui existent entre détenus. Depuis 2011, on recense en effet chaque année 9 000 agressions entre détenus, et moitié moins entre détenus et gardiens de prison. Par ailleurs, pour répondre à la question posée par Me Spinosi, il me semble avoir lu que le nombre de DPS s'élève actuellement à 260 ou 270. Il s'agit donc d'un système qui concerne environ 200 personnes et qui, étant totalement délétère, conduit à des paroxysmes comme l'agression subie par M. Colonna.
M. Ferrandi a d'ailleurs lui-même été agressé en 2005 à coups de boules de pétanque, ce qui a entraîné une trépanation, ainsi qu'une procédure qui a duré environ quatre ans et qui a été menée par quatre juges d'instruction successifs. Compte tenu des errements du système dans le traitement de sa plainte et même si son agresseur a été poursuivi, M. Ferrandi l'avait finalement retirée, refusant de participer à une forme de simulacre de justice. Tel est le regard que nous portons actuellement sur ce statut de DPS et mon confrère a d'ailleurs rappelé que ce statut est également très malmené par les juridictions européennes, à juste titre.
Je terminerai par un dernier exemple illustrant l'arbitraire de ce statut en rappelant ce qui s'est passé pour Alain Ferrandi entre février et mars 2022. Ce statut doit être révisé chaque année, ce qui n'a pas été le cas. En 2021, le cas d'Alain Ferrandi n'a pas été réétudié. La loi ne prévoyant pas de reconduction tacite du statut de DPS, j'ai considéré que mon client était radié d'office du répertoire. J'ai donc écrit à M. Castex, en janvier 2022, pour prendre acte du non-renouvellement du statut de M. Ferrandi. Celui-ci ne m'a pas répondu. Je lui ai donc écrit à nouveau quelques jours plus tard, en faisant valoir – à tort ou à raison sur le plan strictement juridique – que le silence valait acceptation et que mon client était par conséquent radié de la liste des DPS.
Ce courrier a eu pour effet de relancer la procédure. Mon client a été de nouveau convoqué pour un débat contradictoire le 3 mars. Le 22 février, les motifs rappelés précédemment – risque d'évasion, appartenance à une organisation terroriste, dangerosité, etc. – sont avancés et les avis rendus sont majoritairement défavorables à la radiation, y compris celui de la directrice de l'établissement qui, par une sorte de triple salto arrière, changeait alors de position par rapport à ses avis favorables des années précédentes. Nous nous sommes d'ailleurs demandé si, par extraordinaire, cela n'était pas lié au fait que le Premier ministre de l'époque avait affirmé qu'il se référerait à l'avis de la commission locale. Par conséquent, ne fallait-il pas veiller à ce que la commission rende un avis défavorable ? Puis, le 8 mars, nouveau revirement de position : M. Ferrandi a fait amende honorable, le travail de repentance a été mené, etc. Bref, les conditions sont réunies pour que M. Ferrandi ne soit plus soumis à ce statut.
Cela illustre bien l'arbitraire dans l'application du texte. On ne statue pas pendant un an, mais quelle importance ? On ne répond pas – en toute impunité – aux courriers des avocats. Enfin, le 3 mars, la demande est refusée fermement avant d'être soudain finalement accordée le 8 mars.
Nous savons ce qui s'est passé entretemps. J'ai réécouté certaines des auditions devant cette commission, monsieur le président, et j'ai noté votre utilisation de l'expression « ardoise magique ». L'ardoise magique est-elle effectivement un argument juridique ? S'agit-il d'un fondement démocratique et républicain ? Pas à ma connaissance. Cet exemple, très concret, venant s'ajouter à tout ce qui a déjà pu être dit, vient tout de même illustrer l'aberration – pour ne pas dire plus – que constitue cette circulaire de 2012. Elle devrait être supprimée, car elle contient en elle-même les germes de toutes les défaillances et de tous les errements que nous venons de décrire. Elle est faite pour cela et à aucun moment elle ne prévoit un droit quelconque, un réel contradictoire, de réels recours.
Je pense donc que cette circulaire doit disparaître. Il faut exiger l'application de règles fondamentales comme celle de la preuve, avec des éléments tangibles qui permettent de se forger une opinion. Par ailleurs, il faut établir des recours dignes de ce nom. Il faut introduire du judiciaire, avec la présence de juges de cet ordre au sein des commissions afin d'éviter l'entre-soi. J'ai, par exemple, récemment entendu M. Castex dire que le parquet national antiterroriste (PNAT) était intervenu sur une demande de radiation.
En tout cas, il faut instaurer plus de transparence et garantir un accès plus rapide aux juridictions administratives. Je vous transmettrai les documents attestant que – et mes confrères ici présents pourront le faire également – pour une décision de 2012, l'arrêt de la cour administrative d'appel n'a été rendu qu'en 2016, soit quatre ans plus tard, ce qui n'a aucun sens. Autant dire que l'appel n'existe pas, ou qu'il s'agit d'une parodie de justice.