. Je suis avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation et j'ai défendu Yvan Colonna depuis son premier procès de cassation, en 2009. J'ai défendu devant la Cour de cassation le pourvoi qu'il avait formé contre le premier procès d'appel qui l'avait condamné à une peine de réclusion criminelle perpétuelle assortie d'une peine de sûreté de 22 ans, dont nous avons obtenu la censure. Il y eut ensuite un troisième procès – le deuxième procès d'appel – à l'issue duquel il a été condamné de nouveau à une peine d'emprisonnement perpétuelle, mais qui, cette fois, était assortie d'une peine de sûreté alignée sur celle qui avait été retenue pour les autres membres du « commando Érignac ».
Par la suite, nous avons refait un pourvoi, qui a été rejeté. Nous avons alors saisi la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), mais cette requête n'a pas davantage abouti. À partir de ce moment, en 2012, au moment du rejet du deuxième pourvoi, Yvan Colonna est définitivement condamné. Il quitte alors la maison d'arrêt pour être transféré dans un établissement pour peine. À l'époque, il est emprisonné à Fresnes et la question du lieu de son incarcération se pose. Il fera l'objet d'un transfert à Arles en 2012-2013, à la suite de sa condamnation définitive.
Il faut bien comprendre qu'il existe un lien évident entre le statut de DPS et la question de l'incarcération en Corse, qui était évidemment ce à quoi aspirait Yvan Colonna comme, je suppose, les autres membres du commando. En effet, lorsque l'on est classé DPS, la circulaire impose que l'on soit nécessairement détenu dans une maison centrale, c'est-à-dire dans un établissement qui présente des garanties de sécurité particulières pour des détenus particulièrement dangereux ou susceptibles de s'évader. Or la prison de Borgo n'est pas une maison centrale et il n'existe pas de maison centrale en Corse. Par conséquent, à partir du moment où le statut de DPS est maintenu à l'encontre d'Yvan Colonna – le même raisonnement vaut pour les autres membres du commando –, on nous avance l'explication suivante : « Ce n'est pas qu'on ne veut pas rapprocher Yvan Colonna, c'est qu'on ne peut pas, en raison de son statut de DPS qui lui interdit d'être incarcéré en Corse ».
À partir de 2013, notre objectif a donc été de faire tomber le statut de DPS, non pas pour ce statut lui-même, mais uniquement pour déverrouiller la possibilité pour Yvan Colonna d'être incarcéré à Borgo, sachant que sa volonté était d'être rapproché de sa famille car il venait d'avoir un jeune enfant à l'époque ; or les trajets entre la Corse et le continent sont relativement onéreux et compliqués. Il souhaitait donc être incarcéré au plus près des siens, ce qui lui était interdit par le statut de DPS.
Plusieurs actions ont donc été engagées. Je ne sais pas si, dans le cadre de ses auditions, cette commission a pu obtenir une information claire de la part de l'administration pénitentiaire sur le nombre exact de personnes qui étaient placées sous ce statut au moment des faits. Il est de l'ordre de quelques centaines de détenus, d'après les informations – très peu transparentes – que l'on peut recueillir. Ce statut reste donc assez exceptionnel par rapport à l'ensemble des 70 000 détenus.
Ce statut est dérogatoire et entraîne un certain nombre de mesures en termes de surveillance. Étant dérogatoire, il est nécessairement temporaire. Il a vocation à être renouvelé tous les ans. Chaque année, la situation du détenu doit être révisée et une nouvelle décision doit être prise, tendant à reconnaître ou non le statut de DPS. Cette décision est prise par le garde des Sceaux, donc au niveau hiérarchique le plus élevé. Nous avons systématiquement attaqué ce statut et son renouvellement depuis 2012, à l'exception des décisions de 2016 et 2017 – j'expliquerai pourquoi par la suite.
Pour justifier le statut de DPS d'Yvan Colonna, l'argumentation retenue par le ministère était globalement toujours identique, ce qui nous posait problème. Par exemple, les arguments avancés en 2013 étaient : l'appartenance de l'exposant à la mouvance terroriste corse ; la crainte d'une éventuelle soustraction à la justice, qui était nourrie par le fait qu'il était considéré comme ayant fui entre mai 1999 et mai 2003, avant son arrestation ; le trouble à l'ordre public et le trouble que provoquerait dans l'opinion une évasion compte tenu de la très grande médiatisation de l'affaire et de la très grande gravité des faits pour lesquels il était mis en cause.
Mon confrère Sylvain Cormier pourra témoigner – car il a également participé aux auditions contradictoires organisées dans le cadre des renouvellements du statut – que les mêmes décisions étaient globalement toujours répétées. Nous avons essayé de faire valoir le fait que le statut de DPS était nécessairement temporaire et qu'il devait nécessairement être motivé en considération d'éléments d'actualité. Or l'appartenance à une mouvance terroriste, la fuite dans le maquis et le trouble à l'ordre public en cas d'évasion sont des arguments d'ordre général, que l'on peut utiliser tout au long de la vie du détenu. Tant que le statut d'Yvan Colonna était justifié de cette manière-là, cela signifiait que celui-ci était, dans les faits, DPS à vie, puisqu'il n'existait aucune raison pour que quoi que ce soit change. Il ne pouvait pas faire en sorte de ne pas avoir appartenu à une mouvance terroriste, de ne pas avoir fui ou qu'on ne parle pas de l'affaire Colonna.
Tel est l'argumentaire que nous avons régulièrement développé devant toutes les juridictions de l'ordre administratif – tribunal administratif, cour administrative d'appel, Conseil d'État. Ce dernier n'ayant rien vu à redire à la situation, nous avons alors constaté que, malgré nos arguments, il était impossible de trouver une solution juridique afin de déverrouiller ce dossier et nous avons temporairement renoncé à nos actions.
Parallèlement à cette critique du statut de DPS, nous avons également fait un certain nombre de recours relatifs au refus de transfert. De la même façon, nous avons critiqué un refus de transfèrement en 2012, puis en 2013 et nous avons relancé les procédures en 2019 et en 2021. L'argument mobilisé était ici celui de l'atteinte disproportionnée que de tels refus étaient susceptibles de représenter au regard du respect du droit à la vie privée – prévu par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme. Nous développions notamment l'argument selon lequel il n'existait aucune justification au maintien d'une détention sur le continent puisque le rapprochement et le transfert à l'établissement pour peine de Borgo ne présentaient aucun risque. Mais celui-ci n'a jamais été entendu et nous sommes remontés, là encore, jusqu'au Conseil d'État, sans succès.
Il convient de souligner qu'Yvan Colonna n'est jamais resté inactif. Nous avons essayé à tous crins d'obtenir la levée du statut de DPS en l'attaquant de façon systématique devant des juridictions administratives de tous ordres. La question de son transfert a également été réitérée à de multiples reprises et, de la même manière, sans aucun succès. Il existait donc une volonté manifeste de la part de l'administration pénitentiaire, d'une part, de maintenir le statut de DPS et, d'autre part et surtout, d'éviter l'incarcération d'Yvan Colonna en Corse.
La situation n'a pu se débloquer, tant sur le sujet du statut de DPS que de l'incarcération à Borgo et même d'une éventuelle libération conditionnelle, que postérieurement à l'assassinat d'Yvan Colonna. Or, je ne pense pas que les raisons qui justifiaient le maintien du statut de DPS à l'encontre d'Yvan Colonna, de Pierre Alessandri ou d'Alain Ferrandi en 2021 aient fondamentalement changé en 2022. Pourtant, l'administration pénitentiaire, en considération de l'agression intervenue, a accepté de voir de façon différente la nécessité du maintien de ce statut et, par conséquent, l'impossibilité d'une incarcération en Corse. Cela démontre que, en réalité, le maintien de ce statut ne relevait que d'une question de volonté administrative, en tout cas d'un point de vue administratif, et certainement pas d'une question de justification juridique.
Voilà ce que j'avais à dire sur le passé. Concernant le présent, je ne suis évidemment plus l'avocat d'Yvan Colonna mais je reste celui de sa famille. J'ai la charge de la partie administrative tandis que la partie judiciaire est gérée par mon confrère Sylvain Cormier, qui représente également la famille.
S'agissant la partie administrative, le décès d'Yvan Colonna en détention entraîne, pour ses héritiers comme pour ses proches, un droit à indemnisation. Celle-ci s'opère sur le fondement de la loi pénitentiaire, qui pose un principe selon lequel l'administration est nécessairement responsable du décès d'un détenu lorsque celui-ci intervient à la suite d'une agression par un autre détenu. Dans ces conditions, nous avons engagé la responsabilité de l'État devant le tribunal administratif en sollicitant diverses sommes, du fait de la responsabilité de l'administration dans le décès d'Yvan Colonna.
Cette saisine du tribunal administratif, cette action contre l'État, a été initiée par l'ensemble des membres de la famille d'Yvan Colonna, à savoir ses deux parents, son frère et sa sœur, sa femme et ses deux enfants. Elle a également été initiée au nom d'Yvan Colonna lui-même, au nom de sa succession. Des demandes ont donc été formulées pour l'ensemble de ces personnes. Il faut bien comprendre que la responsabilité de l'administration en la matière est engagée sur le fondement de la loi, sans même qu'il soit nécessaire de démontrer l'existence d'une faute de l'administration.
Notre saisine a donc un avantage et une limite : il est assez certain qu'elle aboutisse, mais elle ne permettra pas à un tribunal administratif de rechercher ou d'apprécier l'existence de fautes de la part de l'administration. En effet, la jurisprudence administrative veut qu'à partir du moment où il existe une hypothèse de responsabilité sans faute, comme cela est le cas ici, le juge administratif se borne à constater l'existence de cette responsabilité et fixe le montant des préjudices qui sont dus.
Lorsqu'une demande d'indemnisation est déposée auprès du tribunal administratif, le demandeur a l'obligation de solliciter préalablement le ministère pour lui demander s'il entend réparer le préjudice évoqué. En l'espèce, en septembre dernier, le ministère a fait des propositions financières pour réparation à l'ensemble de la famille d'Yvan Colonna. Le montant global a été évoqué par la presse et n'a donc rien de secret. Il s'élevait à 245 000 euros. La famille a accepté ce montant. Le tribunal administratif n'aura donc pas à statuer individuellement pour les différents membres de la famille.
Il reste néanmoins un point assez déterminant puisque la succession d'Yvan Colonna, pour le moment, n'est pas résolue. Dans ces conditions, la proposition du ministère n'a pas pu être acceptée ni refusée. Il existe donc toujours une action pendante au nom d'Yvan Colonna lui-même devant le tribunal administratif. Il s'agira de savoir si elle sera maintenue ou non à la suite du règlement de sa succession.
En tout état de cause, il ne fait aucun doute que l'administration pénitentiaire serait condamnée si le tribunal administratif avait à rendre une décision au nom d'Yvan Colonna. L'administration en avait d'ailleurs suffisamment conscience pour faire ces propositions d'indemnisation préalables qui, pour être habituelles, restent relativement rares.
Pour conclure, je dirai également un mot du futur, au nom de la famille, qui est constituée partie civile dans l'instruction en cours contre l'assassin d'Yvan Colonna. La famille attend beaucoup du travail de cette commission parlementaire, car cette dernière dispose de moyens d'investigation qu'elle n'a pas, et que le juge judiciaire a peut-être mais n'utilisera pas. Le juge saisi de l'assassinat d'Yvan Colonna a en effet pour but de déterminer les circonstances ayant conduit à cet assassinat, mais non de rechercher les responsabilités, les inactions ou les erreurs qui ont pu être commises par l'administration. Ce travail incombe en revanche certainement à cette commission d'enquête.
Il est absolument déterminant, car la famille, comme une grande partie des Français, est en état de sidération face à l'agression dont Yvan Colonna a pu faire l'objet, et chacun se pose la même question. Comment est-il possible qu'un DPS, dont la demande de ne plus être soumis à ce statut a été systématiquement refusée et à qui on a interdit d'être rapproché de sa famille au motif qu'il faisait partie des détenus les plus surveillés de France, ait pu subir cette agression, dans ces conditions, aussi longtemps, sans qu'il n'y ait aucune réaction de la part de l'administration pénitentiaire ? La famille attend les conclusions de cette enquête parlementaire pour pouvoir mieux comprendre les causes de ce drame.
Au-delà de la compréhension intellectuelle et morale, se pose également la question des actions juridiques susceptibles d'être engagées. Selon la nature des conclusions de cette enquête, si l'existence de fautes ou de manquements de l'administration à ses propres obligations était avérée, la famille n'exclut pas la possibilité de déposer plainte pour non-assistance à personne en danger ou mise en danger de la vie d'autrui. Des actions pénales pourront ainsi être réengagées. La partie administrative est aujourd'hui quasiment terminée et résolue au bénéfice de la famille, mais il est certain que le travail de cette commission, du moins s'il permet de fournir suffisamment d'éléments pour pouvoir engager une action, sera très certainement suivi, en considération de la volonté de la famille, d'une action judiciaire à l'encontre des éventuels responsables.