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Intervention de Sarah Legrain

Séance en hémicycle du mercredi 5 avril 2023 à 15h00
Revalorisation du salaire des enseignants

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSarah Legrain :

Si le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (LFI – NUPES) a demandé ce débat solennel sur les salaires des enseignants, c'est parce que nous ne savons plus que croire dans ce brouillard de mensonges et de mauvaise foi. Nous nous sommes dit que, devant la représentation nationale, vous vous sentiriez sans doute tenu à un peu de clarté, monsieur le ministre. Il faut dire que vous avez déjà esquivé l'examen du budget de l'éducation nationale, opportunément escamoté par un 49.3. Depuis, vous brandissez l'augmentation de 6,5 % du budget, sans jamais nous expliquer selon quels calculs elle garantirait la revalorisation tant attendue de 10 % du salaire des enseignants.

Monsieur le ministre, j'ai comme une impression de déjà-vu. Vos 10 % ressemblent à s'y méprendre à une autre entourloupe récente : la fameuse retraite minimale à 1 200 euros, dont le montant réel et le nombre de bénéficiaires ont fondu comme neige au soleil sous l'ardeur de nos questions. Le Gouvernement avait cru faire avaler la pilule des deux ans supplémentaires en l'enrobant du faux sucre de la pension minimale à 1 200 euros. Il semble que vous servez la même recette douteuse aux enseignants. Vous avez cru pouvoir cacher derrière les paillettes d'un chiffre magique le charbon que vous imposez – oui, le charbon ! –, à savoir travailler plus, toujours plus.

Le 20 avril 2022, lors du débat de l'entre-deux-tours, le candidat Macron, cherchant à rallier in extremis le vote des enseignants échaudés par cinq ans de « blanquerisme », disait ceci : « De manière inconditionnelle, il y aura une revalorisation d'environ 10 % des salaires des enseignants et il n'y aura plus de démarrage de carrière sous 2 000 euros par mois. Donc je veux dire ici très clairement que ce n'est conditionné à absolument rien ». Cette déclaration est-elle vraie ou fausse ?

Notons d'abord que les enseignants n'ont toujours pas vu la couleur d'une augmentation qui devait intervenir dès le mois de janvier 2023 ; elle est désormais annoncée pour septembre 2023. Revenons ensuite sur ces 10 %. Incluent-ils le dégel du point d'indice, qui n'est que justice, ou bien s'y ajoutent-ils ? Seront-ce 10 % pour tout le monde ou 10 % en moyenne, en incluant le début de carrière garanti à 2 000 euros ?

Et ces 2 000 euros en début de carrière, parlons-en ! Ils représentent moins de 1,5 Smic, contre 2,2 Smic en 1980. Si les salaires des enseignants avaient augmenté autant que le Smic, un professeur du secondaire en début de carrière toucherait aujourd'hui près de 3 000 euros par mois ! Et depuis le jour où cette promesse a été prononcée par le candidat Macron, les produits alimentaires ont augmenté de 14,5 %. On ne fait donc que continuer à entériner la dévalorisation du métier d'enseignant.

Enfin, attardons-nous sur le cœur de l'entourloupe : cette histoire d'inconditionnalité. Selon le Syndicat national des enseignements de second degré-Fédération syndicale unitaire (Snes-FSU), il faudrait engager 3,6 milliards d'euros sur une année pleine pour aboutir à une réelle augmentation inconditionnelle de 10 % du salaire de tous les enseignants, soit la totalité de l'augmentation de votre budget sur l'année 2023, dont vous vous targuez tant. Or, dans ce budget, la part consacrée à cette augmentation inconditionnelle ne correspond qu'à 1,9 milliard d'euros. Le reste est conditionnel : j'y viens.

Vous nous dites que vous voulez répondre à la crise de l'attractivité du métier. Sur ce point, nous sommes d'accord, monsieur le ministre : il y a bien une crise. Il y a quelques années, on voyait avec inquiétude baisser le nombre de postes ouverts aux concours – nous avions déjà lancé l'alerte. Désormais, on voit avec effarement exploser le nombre de postes non pourvus, faute de candidats : 21 % d'inscrits au certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (Capes) en moins sur dix ans, un nombre de démissions jamais vu, des milliers d'heures de cours non assurées par manque de remplacements !

Pour répondre à cette crise, vous pouviez prendre en compte l'étude menée par l'Union nationale des syndicats autonomes (Unsa) en 2018, révélant que le temps de travail hebdomadaire des enseignants était de près de 45 heures ; vous pouviez tenir compte du fait que le salaire statutaire des enseignants du primaire et du secondaire après dix ou quinze ans d'ancienneté est, en France, au moins de 15 % inférieur à la moyenne des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ; vous pouviez considérer que les effectifs des classes françaises sont bien au-dessus de la moyenne européenne de dix-neuf élèves par classe. Cela vous aurait naturellement conduit à augmenter les salaires et à créer de nouveaux postes. Mais vous avez fait le choix exactement inverse, celui de substituer aux augmentations de salaire et aux postes manquants des remplacements payés en heures supplémentaires : une aberration nommée « pacte enseignant », rejetée par l'ensemble des syndicats.

Voyez-vous, monsieur le ministre, avant d'être élue députée en juin dernier, j'ai moi-même été professeure dans ce lycée d'Aulnay-sous-Bois que vous aviez visité, après avoir été alerté par un reportage réalisé par RMC. Cela faisait des années que nous signalions, dans l'indifférence la plus totale, des fenêtres cassées, des fuites d'eau, des pannes d'électricité. Des collègues, j'en ai rencontré beaucoup, et aucun ne m'a déclaré faire ce métier pour l'argent. Et pourtant, une part de plus en plus grande de notre métier consiste à compter les sous, mais aussi les heures : non pas les nôtres, mais celles que nos élèves sont en droit de recevoir de l'école publique, censée leur garantir l'égalité. Or que voit-on ? Des calculs boutiquiers autour de la dotation horaire globale (DHG), des marchandages ! Pour la moindre sortie scolaire, nous déployons des talents dignes des commerciaux pour essayer de ne pas faire payer les élèves – tout cela, bien sûr, dans le cadre d'heures supplémentaires non rémunérées.

Il n'y a pas besoin d'aller chercher bien loin les causes de la crise que traverse le métier.

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