Intervention de Joan Canton

Réunion du mercredi 22 mars 2023 à 13h40
Commission des affaires européennes

Joan Canton, Conseiller au cabinet de M. Thierry Breton, Commissaire européen en charge du marché intérieur :

L'entrée en vigueur de la loi américaine sur la réduction de l'inflation ainsi que les politiques économiques menées en Chine depuis ces dernières années exigent une réponse européenne structurelle. Si l'accent était, jusqu'alors, peu mis sur la dimension industrielle, l'Union européenne ne pourra atteindre les objectifs du Green Deal sans une capacité productive à générer les technologies de demain. Cela nécessite la durabilité de la croissance des États membres et la création d'emplois en leur sein. L'Europe a intensifié ses efforts dans le cadre du Green Deal depuis la prise de fonctions de la commission von der Leyen, en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de promotion des énergies renouvelables et d'efficacité énergétique.

La loi américaine sur la réduction de l'inflation appelle un réveil au niveau européen, à la manière de l'interdiction du moteur thermique en Europe à l'horizon 2035 s'agissant du secteur automobile. D'une part, plusieurs grandes industries européennes, allemandes notamment, délocalisent en Chine la construction des véhicules électriques à destination du marché européen. D'autre part, de nombreux projets européens d'investissement dans la production de batteries s'adressent aux gigafactories américaines. Ces deux éléments posent un risque de désindustrialisation dont on peut espérer des bénéfices à court terme, mais qui ne sera pas soutenable à moyen-long terme. Cela implique, de fait, de prendre en compte les chaînes de valeur stratégiques et la dimension géopolitique de ces dernières dans l'objectif d'œuvrer pour la transition verte et la transition numérique.

L'IRA n'est pas tant une politique en faveur du climat qu'une politique de réindustrialisation du Midwest des États-Unis. Cela explique notamment le soutien bipartisan à la politique industrielle de l'administration Biden. L'Union européenne entend poursuivre les discussions avec les autorités américaines afin de régler les contentieux commerciaux et de lutter contre les discriminations contraires aux valeurs fondamentales de l'Organisation mondiale du commerce.

M. Thierry Breton a été l'un des premiers à poser un diagnostic sur les conséquences d'une telle législation pour l'Union européenne, à l'automne 2022. En premier lieu, la coopération entre les États membres et les alliances industrielles a été renforcée par la création conjointe de la plateforme Clean Tech Europe à l'initiative des ministres français et allemand de l'Économie et des Finances. En outre, l'initiative Route 35, lancée par la Commission européenne, vise à promouvoir l'éco-mobilité automobile pour être en mesure d'atteindre l'objectif « zéro émission nette ».

Dans un deuxième temps, la Commission a présenté une nouvelle réforme du cadre des aides d'État. L'objectif est de flexibiliser le cadre temporaire qui avait été mis en place à la suite de la crise énergétique, afin de le transformer en un cadre de transition. La question du coût de l'énergie reste la mère des batailles et doit être appréhendée de manière davantage structurelle si l'on souhaite parvenir à décarboner notre industrie et à bénéficier, à terme, de coûts réduits liés aux énergies renouvelables. En ce sens, la Commission a formulé une première réponse avec la réforme du marché de l'électricité.

En outre, les aides d'État présentent des limites pour tous les États membres qui ne disposent pas de marges budgétaires suffisantes, de même qu'elles engendrent des risques de concurrence au sein du marché intérieur. Une analyse effectuée les services de la Commission révèle que l'Union européenne est performante dans la subvention de la recherche et de l'innovation ainsi que dans le déploiement final des énergies décarbonées. Toutefois, des efforts doivent être fournis en matière de financement des outils industriels de production de ces technologies. Sur ce dernier point, le budget européen consacré à cet effet reste faible et ne peut contribuer à satisfaire les besoins. Une réflexion doit être engagée à la fois sur le Fonds de souveraineté et sur le développement de financements privés.

Enfin, la promulgation de la loi américaine sur la réduction de l'inflation a nécessité une réponse réglementaire ayant vocation à produire un choc d'accélération et un choc de coordination, à travers un choc de simplification. Il s'agit de la réforme du marché de l'électricité et de la proposition de règlement sur les matières premières critiques. En effet, l'approvisionnement en matières premières critiques permet notamment le bon fonctionnement de l'industrie des semi-conducteurs et de l'industrie de l'éolien. S'agissant du volet vert, le Net Zero Indsutry Act (NZIA), dévoilé par la Commission le 16 mars dernier, vise à identifier les matières premières critiques présentant un intérêt stratégique pour l'industrie européenne, mais également les technologies pour lesquelles nos capacités manufacturières doivent être renforcées.

La proposition de règlement pour une industrie « zéro émission nette » peut être comparée à un édifice à deux étages. Le premier étage regroupe un échantillon très large de technologies de décarbonation, y compris les énergies renouvelables mais aussi un certain nombre de technologies nucléaires. Cet étage offre des bénéfices immédiats en simplifiant et en priorisant l'octroi de permis, en renforçant les compétences des filières, ou encore en créant des « bacs à sable réglementaires » favorisant l'innovation. Le deuxième étage de l'édifice est centré sur un nombre plus limité de technologies, n'incluant pas le nucléaire mais couvrant le solaire, l'éolien, les batteries, les électrolyseurs pour l'hydrogène, les technologies de stockage du carbone ainsi que les technologies de réseau électrique. Pour ces technologies du deuxième étage, les États membres pourront identifier des projets stratégiques qui bénéficieront d'avantages additionnels et de procédures encore plus simplifiées.

Le texte est certes complexe, mais son objectif est clair. Il s'agit de simplifier et de systématiser les bénéfices attendus des projets de production manufacturière reposant sur ces technologies décarbonées. Le dernier aspect est relatif à la gouvernance : il convient de dépasser la seule logique des aides d'État, qui pénaliserait en effet la coordination européenne. Les actes législatifs pour « zéro émission nette » et sur les matières premières critiques offrent des outils de gouvernance pour faire émerger des chaînes de valeur européennes.

Concernant les matières premières critique, la prévention et l'anticipation des risques sont cruciales, afin de prévenir toute situation de crise et de dépendance énergétiques.

Ainsi, la réponse à l'IRA est complexe – comme de coutume au niveau européen – mais a vocation à être coordonnée, structurelle et à s'inscrire dans le long terme.

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