Je vous entends, mais vous comprendrez que, pour nous, c'est contre-intuitif, et même à l'opposé de ce que l'on sait maintenant du contenu des CPU dangerosité – celle de Condé-sur-Sarthe, puis les quatre qui ont eu lieu à Arles –, décrivant en termes peu amènes un individu qui veut mourir par l'islam et demande à être transféré en quartier d'évaluation de la radicalisation. Nous n'avons d'ailleurs pas, à ce stade, d'explication valable de son non-transfert en QER, y compris à l'époque de Condé-sur-Sarthe, malgré des avis unanimes ou quasi unanimes à cinq reprises.
Nous avons du mal à saisir que l'on se réfère à l'évolution des incidents en termes statistiques, alors que le 30 mars 2022, dans cette même salle, lors d'une audition libre devant la commission des lois, on nous a caché ceux, dont le nombre était certes en baisse, que Franck Elong Abé avait provoqués à Arles – il y en a eu quatre. Le compte rendu de l'audition est très clair : non seulement on a omis ces incidents, mais on nous a aiguillés vers d'autres hypothèses, notamment concernant l'épisode de la formation jardins et espaces verts, en nous expliquant son abandon de cette activité de manière mensongère – un mensonge avéré devant la commission, pas sous serment, certes, mais un mensonge quand même.
On sait aujourd'hui que sa dangerosité terroriste était avérée. L'expression « haut du spectre » ne vient pas de nous : elle a été utilisée par d'autres services de renseignement. Ces termes techniques visent à indiquer que Franck Elong Abé n'appartenait pas à la moyenne des terroristes islamistes en prison, mais au haut du pavé, parmi les plus dangereux référencés. Si sa sortie était une obsession, c'est bien parce qu'il était connu, avant son arrivée et pendant son incarcération à Arles, pour occuper le haut du pavé du terrorisme islamiste.
À la référence au haut du pavé, au fait que les CPU aient été unanimement favorables au transfert en QER, pour certaines en urgence, à cause de sa dangerosité, aux incidents cachés qui ont ensuite été révélés s'ajoutent les observations que nous connaissons maintenant – grâce aux données que vous avez transmises – et qui datent de la veille de l'agression, faisant état d'une conversation où il a été dit « Je vais le tuer » – un propos certes non attribué spécifiquement à Franck Elong Abé – et d'un changement de comportement de celui-ci. Nous sommes très critiques quant à l'absence incompréhensible de données dans le logiciel Genesis entre le 29 janvier et le 2 mars 2022, et d'autres acteurs que nous la trouvent bizarre, alors même qu'il y a, dans ce logiciel, des éléments comme le fait qu'il se laisse pousser la barbe, indépendamment des deux informations importantes concernant ce qui s'est passé le 1er mars : la conversation entre trois détenus lors de laquelle quelqu'un a dit « Je vais le tuer » et le fait que Franck Elong Abé vide sa cellule.
Tout cela mis bout à bout nous empêche d'acquiescer à votre propos selon lequel tout allait bien, madame la marquise – pardonnez-moi l'expression –, à Arles. Il y a là, à tout le moins, une faute lourde concernant la surveillance accrue dont il aurait dû faire l'objet pendant son parcours carcéral, qui nous interpelle grandement.
De mémoire, vous avez indiqué lors de votre dernière audition que, pour le renseignement pénitentiaire, des évolutions étaient intervenues qui confirmaient la thèse du blasphème pour expliquer l'acte. Sans entrer dans le détail, cela signifie-t-il qu'à part les déclarations de Franck Elong Abé lui-même, des témoignages directs permettent d'étayer ce motif ?