Sur l'aspect politique de la gestion des DPS, vous vous demandiez s'il pouvait y avoir des zones d'influence, ou du moins des consignes lorsqu'on travaille à la DAP – je n'y ai pas travaillé. Les faits vous fournissent la réponse. Très peu de temps après le décès de M. Colonna, le statut de DPS de MM. Alessandri et Ferrandi a été levé alors qu'ils y avaient été soumis en raison, j'imagine, d'arguments forts mis en avant, comme pour M. Colonna. Il a donc fallu un décès, qui n'est pas totalement étranger à leur situation mais qui ne les concerne pas personnellement, pour que leur statut soit levé. Vous avez la réponse.
Sur le débat entre judiciarisation et gestion plus administrative, nous sommes très favorables au renseignement et à son utilisation de manière loyale. Par conséquent, la judiciarisation du renseignement me semble constituer un enjeu capital aujourd'hui. Le politique est très intéressé par la gestion des infractions terroristes, aussi dites « politiques », car elles mettent souvent en péril le pouvoir politique. Toute la difficulté pour les magistrats réside dans le fait de résister à toute influence politique et d'exercer de manière indépendante, que l'on soit au parquet ou au siège – car il peut aussi y avoir des zones d'influence au niveau du siège, même si les magistrats y sont plus indépendants du point de vue statutaire. Outre le fait de résister à cela, il est nécessaire d'avoir des procédures loyales.
Lorsque je parle de judiciarisation et de mettre fin aux prérogatives administratives, ou du moins du politique, sur ce sujet, c'est pour amener une égalité de traitement. La judiciarisation doit permettre au moins une égalité de traitement, une forme de transparence dans la gestion et de recours. La question sur laquelle nous butons toujours par rapport au renseignement pénitentiaire et sa judiciarisation est le contradictoire : nous avons du renseignement, mais nous ne pouvons pas vraiment le transmettre à l'autorité judiciaire, car ce ne serait plus vraiment du renseignement si nous le faisions. Il existe donc tout un système de notes blanches, de off, etc. Je pense que nous devons dépasser cela et nous montrer plus disruptifs.
Des solutions existent. Pour certains contentieux, certaines procédures – notamment celles qui ont trait aux infractions terroristes qui sont au cœur du débat –, il suffirait d'imaginer des méthodes de judiciarisation du renseignement transparentes, loyales, mais non contradictoires. Cela peut évidemment choquer mais lorsqu'il y a des enjeux de sécurité de haut niveau, il devrait exister des procédures loyales, mais pas contradictoires, afin que le renseignement puisse être utilisé pour un certain temps de manière intelligente et utile. Actuellement, on se situe entre les deux, et nous n'avons ni l'un ni l'autre. Nous le voyons d'ailleurs au travers de cette commission. Je ne suis pas tout à fait d'accord sur l'utilisation du renseignement pénitentiaire ; je pense qu'il y a plus à faire que simplement s'assurer, au regard de certains profils, de la sécurité à l'extérieur avec les services de renseignement. Nous n'avons pas la culture du renseignement au sein de l'autorité judiciaire. Il faudrait la développer, mais de façon loyale, transparente et peut-être, parfois, dans un premier temps, non contradictoire, c'est-à-dire lors des phases de gestion de profils très dangereux ou terroristes. Il est intéressant d'investir ce champ de réflexion afin de ne pas retomber sur les mêmes apories.
Vous avez par exemple indiqué avoir obtenu un renseignement, dont j'ignore tout pour l'instant. Cette situation est assez frustrante, car vous êtes vous-même à la recherche d'un renseignement ; vous imaginez peut-être quelque chose qui n'existe pas, mais peut-être êtes-vous en-dessous de la réalité. Qui sait, car la gestion n'est pas toujours très claire.
Le statut du parquet est une porte d'entrée pour clarifier également tout le processus judiciaire, c'est-à-dire la manière dont s'exerce l'autorité. La centralisation des affaires terroristes et la spécialisation sont très intéressantes et font partie de notre tradition depuis les années 1980. Cependant, la centralisation a aussi des défauts, car elle concentre un pouvoir très important entre les mains d'un nombre restreint de personnes au niveau du PNAT. Nous avions beaucoup travaillé sur la commission d'enquête mise en place après les attentats du Bataclan à l'occasion de laquelle cette vision de la lutte antiterroriste, qui ne devrait peut-être pas être aussi concentrée entre les mains de quelques personnes parfois très proches du pouvoir politique, avait posé des questions sur la gestion plus générale de la lutte antiterroriste.