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Intervention de Ludovic Friat

Réunion du mercredi 15 mars 2023 à 14h30
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Ludovic Friat, président de l'Union syndicale des magistrats :

Monsieur le président, je vous remercie pour ces précisions. Il est certain que, au sein de la catégorie des DPS cohabitent différents publics. Il est évident pour tout le monde, comme pour ceux qui ont pu le vivre de l'intérieur – c'est mon cas, et sans trahir les secrets auxquels je suis astreint –, que le politique porte un regard particulièrement acéré en ce qui concerne les DPS terroristes, islamistes ou autres, et assimilés. Il est également clair que l'impulsion est souvent politique.

Nous l'avons vu pour les Basques : le changement de positionnement de l'administration est intervenu dans le cadre d'un processus politique que nous connaissons tous et qui a été impulsé par une volonté politique, notamment s'agissant des établissements qui devaient être exclus pour l'accueil des Basques, du fait qu'il ne fallait pas détenir plus de deux étarras par établissement, et que ceux-ci devaient être plutôt éloignés de la frontière espagnole. À mon sens, il est tout de même de la responsabilité du politique, des ministres – qui sont là pour cela – d'impulser une politique nationale aux services administratifs qui sont sous leur responsabilité.

Les DPS dépendent d'une commission locale et d'une commission nationale au niveau de la DAP à laquelle, de mémoire, participent à la fois le bureau qui s'occupe des affectations dans les établissements pénitentiaires, le bureau du renseignement, la sous-direction antiterroriste (SDAT) et la direction nationale de la police judiciaire. Ces services apprécient la situation à l'aune des renseignements propres dont ils disposent, à savoir la dangerosité de tel individu ou de tel mouvement. Mais les services ne s'autorisent pas seuls à adopter une position évolutive voire disruptive s'ils ne s'en sentent pas a minima autorisés par le politique. Pour dire clairement les choses, on a parfois tendance à ouvrir des parapluies ou à rester dans l'attentisme. Pour cette raison, le statut de DPS ne doit pas être judiciarisé à mon sens. C'est un acte de responsabilité politique, lequel s'appuie sur les éléments apportés par les services. Le judiciariser reviendrait à mélanger un peu plus la responsabilité administrative et judiciaire, la police administrative et la police judiciaire. Dans le système actuel, en restant sur une décision administrative, il existe un juge naturel en la personne du juge administratif. Je ne vois pas quelle est la plus-value du regard judiciaire sur une décision administrative. Que l'on renforce le contrôle des collègues magistrats administratifs, je n'y vois que des avantages en termes de droits et de garanties, mais de grâce, arrêtons de mélanger systématiquement le judiciaire et l'administratif.

Au sujet du renseignement pénitentiaire, pour avoir été modestement présent au moment où ce service est devenu un service de renseignement de plein exercice du second cercle, je pense qu'il y a eu, au début, pour reprendre l'expression de Marivaux, une double méprise. Les collègues magistrats judiciaires, c'est-à-dire les JAP et les JAPAT, ont pensé que ce service avait été créé pour leur apporter des éléments utiles et nécessaires afin de fonder leurs décisions. En fait, pas du tout : il s'agit d'un service de renseignement qui a vocation à servir, avant toute chose, la communauté du renseignement. Quand le service a été créé, la question s'est posée de savoir si on donnait à la DGSI ou à la pénitentiaire la compétence d'investiguer dans les maisons d'arrêt. On a décidé de la confier à la pénitentiaire, car il s'agit d'un monde clos, spécifique et – pour parler un peu vulgairement – dans lequel quelqu'un qui n'est pas de la pénitentiaire serait très rapidement « détronché ». Ce service a donc été confié aux agents de la pénitentiaire qui connaissent les codes et ont cette facilité à se mouvoir de façon relativement discrète à l'intérieur des enceintes pénitentiaires.

La double méprise provient aussi du fait que ce service de renseignement pénitentiaire a deux missions : assurer le bon ordre dans les établissements, c'est-à-dire vérifier qu'il n'y a pas de mauvais coups en préparation à l'intérieur des murs – une action terroriste, une évasion ou des infractions, quelles qu'elles soient ; mais aussi, et surtout, faire le lien avec les services de renseignement à l'extérieur, qu'il s'agisse du renseignement territorial, de la DGSI ou de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Ce service a en effet été créé en 2014-2015, dans un contexte que nous connaissons tous. Selon le raisonnement des services de renseignement, ce qui se passe à l'intérieur des murs relève de la responsabilité de l'administration et du renseignement pénitentiaires. Le service de renseignement extérieur à la détention souhaite quant à lui savoir quelle est la dangerosité d'une personne qui sort. D'où ce qui a été mis en place dans le cadre des groupes d'évaluation départementaux (GED) avec les préfets, avec des informations transmises par le renseignement pénitentiaire à destination des autres services qui assurent le suivi à l'extérieur.

Il ne faut pas oublier que si 70 000 personnes sont dans les murs, avec des terroristes et des radicalisés, la pénitentiaire en suit bien davantage, c'est-à-dire environ 200 000 ou 250 000 en milieu ouvert, où il y a également du renseignement à récolter. La difficulté du renseignement pénitentiaire réside dans le fait qu'il est un service de renseignement : il a avant tout vocation à alimenter en renseignement les membres de la communauté du renseignement, ce qui ne veut pas dire que les renseignements qu'il collecte ne vont pas également servir au judiciaire. Cependant, un tri sera opéré entre ce qui va au renseignement, ce qui va au judiciaire, et ce qui alimente à la fois le renseignement et le judiciaire. Par ailleurs, comment fait-on remonter le renseignement ? Il s'agit de la problématique bien connue du blanchiment de celui-ci. Comment blanchit-on du renseignement en matière judiciaire ? Évidemment, personne n'imagine que le judiciaire voire les directions d'établissement puissent aller piocher directement dans les bases de données du renseignement, car certaines informations proviennent d'autres services de renseignement et par conséquent, la règle du tiers service s'applique. Il est cependant nécessaire de mener une réflexion sur la manière de fluidifier l'information entre le service du renseignement pénitentiaire et les services judiciaires ou administratifs.

Dans un monde idéal, lorsque le service du renseignement pénitentiaire obtient des éléments qui lui paraissent pertinents pour le judiciaire ou l'administratif, il les fait ressortir par d'autres voies, c'est-à-dire par les directeurs d'établissement ou via les CPU. Au sein de la CPU, le DLRP demande alors à un collègue de la pénitentiaire de faire ressortir le renseignement sous une autre plume que la sienne afin qu'il n'apparaisse pas en première ligne. Pourquoi le renseignement ne doit-il pas apparaître en première ligne ? Parce qu'il ne faut pas donner à la cible en détention d'information selon laquelle elle est particulièrement suivie par le service de renseignement. Il faut donc parvenir à blanchir suffisamment l'information.

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