Il y a quatre-vingt-dix ans, des millions d'Ukrainiens et de Kazakhs mouraient de faim dans les campagnes de l'Union soviétique ; c'est une réalité. Notre présence aujourd'hui doit permettre à la représentation nationale de s'exprimer publiquement, de la façon la plus unanime possible, sur cette catastrophe qui aurait malheureusement pu être évitée. J'aimerais revenir rapidement, comme certains de mes collègues, sur les faits. Après la banqueroute américaine de 1929, les économies dites occidentales entrent en récession. L'URSS de Staline décide d'accroître les exportations de céréales afin de financer l'industrialisation de l'économie soviétique et d'obtenir des devises étrangères. Cependant, ces denrées ne sont pas un simple produit commercial, mais l'un des aliments de base de la population. Face aux protestations paysannes, Staline décide d'accentuer le rythme des réquisitions – avec les méthodes que l'on connaît –, préférant la balance commerciale à la survie de millions de personnes.
Ce qui nous fait dire aujourd'hui que cette répression est un génocide, c'est qu'elle était guidée par la volonté de détruire tout sentiment national dans les républiques soviétiques, notamment en Ukraine. Staline n'a pas seulement décrété la famine, il a stigmatisé toute une frange de la population de koulaks et l'a empêchée de se déplacer dans les villes et dans les autres républiques pour survivre. Entre 3,5 et 5 millions de personnes sont mortes à cause de cette folie, de cette politique d'extermination par la faim.
Il s'agit aujourd'hui de reconnaître le caractère génocidaire de l'Holodomor. Certains critiqueront cette résolution en prétextant que ce n'est pas au législateur d'écrire l'histoire. Nous leur répondrons que l'Assemblée nationale, représentante de l'ensemble du peuple français, est néanmoins en droit d'affirmer sa solidarité face à un évènement historique aussi grave. Nous constatons en outre que l'Holodomor est un acte par lequel les autorités soviétiques avaient l'intention de détruire tout ou partie du peuple ukrainien, en le soumettant à « des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ». Cette affirmation se fonde sur des faits et correspond à la définition du génocide inscrite dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide des Nations unies, datant de 1948.
D'autres critiqueront l'instrumentalisation de cet événement, y voyant une réaction à la guerre en Ukraine. Laissez-moi toutefois préciser que si notre groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires est favorable à cette résolution, c'est parce que nous estimons qu'il est du devoir de tout humaniste de dénoncer, avec les instruments juridiques et politiques à sa disposition, tout génocide.
Bien évidemment, il y a un contexte. On ne peut ignorer le parallèle entre les crimes de 1932 et les événements actuels. Aujourd'hui, la Russie agresse l'Ukraine, utilise le viol comme arme de guerre, recourt à l'enlèvement des enfants et vise les infrastructures civiles lors des bombardements. Alors oui, la Russie est en infraction vis-à-vis du droit pénal international ; elle commet des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre et un crime d'agression. Il reviendra à la CPI de l'inscrire dans le marbre. Mais la question posée aujourd'hui n'est pas celle du soutien à l'Ukraine contre l'agression russe. L'Assemblée a d'ailleurs adopté en novembre 2022 – notre groupe y prenant toute sa part – une résolution affirmant le soutien de l'Assemblée nationale à l'Ukraine et condamnant la guerre menée par la fédération de Russie. Enfin, l'Holodomor s'est produit au-delà des frontières de l'Ukraine.
Voter cette résolution, c'est demander l'ouverture des archives de l'URSS sur le sujet ; c'est se joindre à un nombre grandissant d'États et au Parlement européen pour condamner l'extermination par la famine ; c'est rappeler l'attachement de notre assemblée au devoir de mémoire. À l'heure où les faits historiques sont manipulés et où la liberté de travail des historiens est entravée, le Gouvernement doit tout mettre en œuvre pour combattre les tentatives visant à fausser les archives ou à manipuler l'opinion publique quant à ce qui s'est réellement passé entre 1932 et 1933. Dès lors que certains tronquent la vérité, il est important que notre assemblée énonce clairement un récit basé sur des faits et des preuves. Pour toutes ces raisons, le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires votera la résolution portant sur la reconnaissance et la condamnation de l'Holodomor comme génocide.