Intervention de Maud Gatel

Séance en hémicycle du mardi 28 mars 2023 à 15h00
Reconnaissance et condamnation de l'holodomor comme génocide — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMaud Gatel :

Le passé rejoint aujourd'hui le présent : la proposition de résolution transpartisane portant sur la reconnaissance de l'Holodomor comme génocide, que nous étudions aujourd'hui à l'initiative de ma collègue Anne Genetet, éclaire tristement ce que vivent nos amis Ukrainiens depuis le 24 février 2022. Face aux atrocités du présent, l'on prend conscience de l'importance de se confronter aux faits du passé et de les reconnaître.

L'Holodomor – terme qui signifie littéralement « l'extermination par la faim » – qui a frappé l'Ukraine il y a quatre-vingt-dix ans est l'histoire méconnue d'une tragédie orchestrée par le régime totalitaire soviétique. Ce crime de masse a délibérément ciblé les paysans ukrainiens, et, à travers eux, l'ensemble de la nation ukrainienne, dans la volonté de l'anéantir. Longtemps tu, dissimulé à la fois par le pouvoir stalinien et par les populations victimes, durablement traumatisées, l'Holodomor a été l'objet d'arbitrages géopolitiques, certains préférant la construction d'une paix inachevée à la reconnaissance des crimes passés.

Cette famine organisée par le totalitarisme stalinien pourrait avoir causé plusieurs millions de morts en Ukraine, un chiffre qui pourrait s'élever à 10 millions si l'on tient compte des victimes hors du territoire ukrainien, notamment au Kazakhstan. Ces millions de victimes mortes de faim sont le résultat de l'échec de la politique de collectivisation forcée lancée par Staline au début des années 1930 pour moderniser l'URSS, mais également de mesures prises délibérément pour affamer le peuple ukrainien : alors que les Ukrainiens résistaient aux prélèvements d'énormes quantités de grains opérés par le régime soviétique dans le « grenier à blé de l'Europe », Staline et son entourage ont décidé d'accentuer la répression, interdisant l'exode des familles ukrainiennes qui tentaient de fuir vers les villes pour trouver de quoi se nourrir.

Alors que Vladimir Poutine n'hésite jamais à instrumentaliser l'histoire pour justifier sa guerre et renforcer son pouvoir, la reconnaissance et la condamnation de l'Holodomor en tant que génocide, sans instrumentaliser le droit international – avec toutes les implications possibles –, revêtent donc une importance toute particulière.

Si la réalité de la famine est désormais reconnue, la question de sa qualification semble demeurer – pas pour nous, qui, dans la lignée d'historiens comme Andrea Graziosi, Barbara Martin, Nicolas Werth ou Roman Serbyn, assumons de parler de génocide. Si tous les génocides ne sont pas identiques, il existe des caractéristiques communes qui transcendent les faits : les millions de morts causées par la famine et l'intentionnalité des actions conduites par Moscou, suffisamment et indiscutablement documentées, démontrent le caractère génocidaire de la grande famine. Ces actions, savamment orchestrées, constituent une volonté délibérée du pouvoir soviétique de punir et d'exterminer la nation ukrainienne en tant qu'ensemble politique, parce que son opposition à la politique de l'URSS menaçait l'unité et l'existence de cette dernière. Raphael Lemkin, l'inventeur du terme « génocide » – Anne Genetet l'a rappelé ––, considérait qu'il avait existé trois génocides : le génocide arménien, la Shoah et l'Holodomor. Il considère ainsi que l'intention de Staline était bien l'anéantissement de la nation ukrainienne,…

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