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Intervention de Anne Genetet

Séance en hémicycle du mardi 28 mars 2023 à 15h00
Reconnaissance et condamnation de l'holodomor comme génocide — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne Genetet :

« Ce dont je veux vous parler est l'exemple le plus classique du génocide soviétique, l'expérimentation la plus achevée en matière de russification – la destruction de la nation ukrainienne. » Ces mots ne sont pas les miens : je les emprunte à Raphael Lemkin, juriste à l'origine du concept de génocide, qui les a prononcés lors d'une conférence commémorant le vingtième anniversaire de l'Holodomor.

Ce dont je veux vous parler aujourd'hui est l'histoire d'une barbarie organisée, d'une brutalité absolue, un pan de notre histoire collective, celle de l'Ukraine d'abord, et de la nôtre ensuite.

Elle débute en 1929, quand Joseph Staline ordonne une collectivisation et une industrialisation à marche forcée de l'Union des républiques socialistes soviétiques, l'URSS. Cette politique du « Grand tournant » se traduit dans les campagnes soviétiques, et donc en Ukraine, par une réquisition sans limite des récoltes ; les propriétaires terriens, appelés koulaks, sont expropriés, arrêtés et déportés.

Elle se poursuit en Ukraine en 1930 : privés de toutes leurs récoltes, et même de toutes leurs semences, les paysans se soulèvent. Plus aucune moisson n'est possible, plus un morceau de pain. La faim s'installe. Un exode rural commence, et bien entendu, la production de blé s'effondre.

Alors, à l'été 1932, Staline s'emporte et donne un ordre clair : « Le plus important maintenant, écrit-il, c'est l'Ukraine. […] Si nous n'entreprenons pas immédiatement le redressement de la situation, nous pouvons perdre l'Ukraine. » – Il a bien écrit « perdre l'Ukraine ». – Sa terrible décision est prise : utiliser l'arme de la faim contre les paysans ukrainiens.

Les frontières sont fermées. Le moindre grain de blé est traqué. Des villages et des fermes sont délibérément bloqués. Le commerce est arrêté. Des impôts supplémentaires sont prélevés.

Dans les premiers mois de 1933, l'Ukraine, « grenier à blé », est devenue « terre de sang ». Chaque jour, des milliers de paysans ukrainiens meurent, affamés. Leurs corps jonchent rues et champs. Cette famine méticuleusement organisée par Staline – rappelons-le – prend alors l'appellation d'Holodomor, « l'extermination par la faim ».

Ce dont je vous ai parlé n'est rien d'autre que l'utilisation de la famine comme arme politique pour briser la résistance d'un peuple, pour l'effacer de la carte et le priver d'une conscience nationale qui s'éveillait.

À l'époque, face à ces millions de morts, un silence : le nôtre. Le silence des dirigeants occidentaux qui, comme le soulignait le journaliste Gareth Jones, « regardaient ailleurs, effrayés par l'Allemagne nazie et bien trop soucieux d'importer des milliers de tonnes de blé ».

À présent, la guerre totale menée en Ukraine par le Kremlin replace l'histoire sous notre regard, car ce que nous observons est une nouvelle tentative de négation du fait national ukrainien, qui prend la forme de l'annexion de territoires, des déportations d'enfants, des crimes de guerre commis contre la population, ou encore du Kholodomor, dont le nom fait écho à l'Holodomor et qui désigne le ciblage des infrastructures énergétiques civiles pour faire mourir de froid la population ukrainienne. Chacune de ces agressions est une atteinte à nos valeurs les plus chères et fait ressurgir pour les Ukrainiens le spectre de ce traumatisme passé.

Histoire, devoir de mémoire, identité. Opposons la reconnaissance et le souvenir à l'arme qu'a été la faim. Nous avons une responsabilité, celle de faire connaître, de reconnaître et de condamner.

Voter pour cette résolution, c'est aussi confirmer aux Français, aux Européens et au monde que lorsque les valeurs essentielles et universelles sont en jeu, il n'y a plus ni majorité, ni minorité, ni centre, ni droite, ni gauche, mais une Assemblée nationale composée de femmes et d'hommes qui représentent la nation tout entière, et qui, réunis dans un même élan d'humanité, votent en conscience.

Alors ne regardons plus ailleurs. Vive l'Ukraine libre !

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