Le 29 juin 2021, la compagnie maritime Irish Ferries débarque dans le port de Calais. Dans la foulée de l'inauguration du nouveau port de commerce, elle démarre une nouvelle liaison entre Calais et Douvres. Un an plus tard, le 17 mars 2022, la compagnie maritime P&O, subissant de plein fouet la crise financière liée à la pandémie de covid-19, est financièrement à genoux. Face à la concurrence déloyale imposée par Irish Ferries, qui emploie une main-d'œuvre issue de pays à faible coût social qui lui coûte 70 % moins cher, P&O licencie 800 marins britanniques – 800 marins – par un simple appel téléphonique. Ils sont débarqués par des agents de sécurité, prêts à les évacuer de force.
Si cet acte honteux a provoqué un émoi justifié au Royaume-Uni, déclenchant la mise en place d'une loi pour protéger les marins britanniques, elle a également permis, en France, de prendre la pleine mesure du risque que fait peser le dumping social sur nos compagnies maritimes.
Je n'ai cependant pas attendu ce scandale pour me préoccuper du sort des marins sur le transmanche. En effet, j'ai été salarié d'une compagnie maritime française pratiquant le cabotage entre la France et l'Angleterre, et j'étais présent lorsque les compagnies comme Irish Ferries ou P&O ont commencé à détruire l'équilibre concurrentiel en pratiquant un dumping social honteux, leur permettant de proposer des tarifs face auxquels nos compagnies françaises ne peuvent s'aligner.
Après avoir assisté de près à cette concurrence déloyale, qui menace nos compagnies maritimes, en tant que conseiller régional des Hauts-de-France, j'ai alerté à plusieurs reprises la région sur les risques liés à la présence d'une deuxième compagnie maritime adepte du dumping social et employant une main-d'œuvre bon marché.
Dans la foulée de cette affaire, trois parlementaires, dont je fais partie, ont déposé une proposition de loi visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche. Il est encourageant de voir que cette question est abordée dans l'hémicycle. En effet, il y a urgence ! Nos compagnies maritimes ne peuvent attendre plus longtemps sans qu'on légifère pour les protéger. Sans protection suffisante, d'ici un ou deux ans, elles seront contraintes aux mêmes pratiques.
C'est pourquoi cette proposition de loi est la bienvenue. Mon groupe y est favorable, car il va dans le sens de l'intérêt des marins et de nos compagnies maritimes employant des marins français sous pavillon français de premier registre. Néanmoins, elle ne va pas assez loin et devrait être cohérente avec les projets britanniques de législation, l'exposé des motifs le rappelle – la « cohérence avec le projet de loi britannique est essentielle à la lisibilité de la mesure et à une mise en œuvre efficace. »
Heureusement, en commission, le texte a été amendé afin d'évoquer – mais de manière floue – la durée d'embarquement et le temps de repos, ce qui, avec le salaire, est un minimum. Cependant, de nombreux points, très importants dans la lutte contre le dumping social, ne sont pas évoqués. C'est pourquoi nous allons nous efforcer de vous proposer des amendements de bon sens, qui visent à rendre cette proposition de loi véritablement efficace et que, j'espère, vous voterez.
Car le sujet est d'une importance capitale, aussi bien pour notre souveraineté nationale que pour l'emploi de nos marins. Que dirons-nous lorsqu'il n'y aura plus que des compagnies peu scrupuleuses, n'engageant que des personnes issues de pays à faible coût social, qui feront du cabotage entre nos ports et ceux d'Angleterre ou d'Irlande ? Que dirons-nous lorsqu'un accident surviendra sur le transmanche à cause des rythmes de travail insoutenables imposés à des marins exploités par des compagnies maritimes faisant des bénéfices considérables en économisant sur les frais sociaux de leurs employés ? Ainsi, la compagnie Irish Ferries a déjà subi deux incendies à bord en moins d'un an.
La question du dumping social sur le transmanche est transpartisane. Elle devrait donc – je dis bien « devrait » – dépasser les clivages politiques. La lutte contre ce dumping social demande des décisions fortes, efficaces et de bon sens, et exige que l'on dépasse les étiquettes politiques. Nous devons légiférer pour nos marins et protéger le transmanche de pratiques sociales scandaleuses qui vont conduire inévitablement à une catastrophe.
Nous sommes face à nos responsabilités. C'est pourquoi j'espère que nous arriverons à faire de cette proposition de loi une arme véritablement efficace pour sauver la filière du transport maritime de passagers sur le transmanche et lutter contre ces armements voyous qui ont clairement manifesté leur opposition à la proposition de loi.
Mes chers collègues, il est donc de notre devoir de travailler ensemble pour nos armateurs, nos marins, notre souveraineté. J'aimerais avoir une pensée pour mes anciens collègues, qui nous écoutent attentivement et qui attendent que l'État légifère de la façon la plus stricte possible contre ces armements véreux. Cette proposition de loi, elle est pour Amandine, Alexandre, Gilles, Ternix, Sabine, Vitelia, Romain, mes boscos, mes commissaires de bord et mes collègues, que je ne pourrai tous citer, et pour tous nos marins travaillant en Manche. Aujourd'hui est un grand jour pour les marins sur le transmanche : tâchons d'en être dignes et votons les amendements de tous bords, quels qu'ils soient, afin d'améliorer ce texte.