Il y a un an, nous avons tous été choqués par le licenciement massif de 800 marins britanniques par l'armateur P&O Ferries, un événement d'une violence sociale et d'une brutalité immenses. Déjà en 2021, la compagnie Irish Ferries avait choisi d'introduire pour la première fois, pour la liaison entre Calais et Douvres, un autre pavillon que le premier registre français ou son équivalent britannique, en optant pour le pavillon chypriote. Face à la situation actuelle, les craintes sont fortes que d'autres compagnies affaiblissent leurs normes sociales. Nous devons repenser la législation en vigueur.
Les méthodes agressives employées par certaines compagnies induisent de nombreux risques, tant pour les équipages que pour les passagers : premièrement, une baisse de la rémunération perçue par les gens de mer travaillant à bord des navires assurant la liaison transmanche ; deuxièmement, une concurrence déloyale, au détriment des entreprises vertueuses rémunérant équitablement leurs salariés ; troisièmement, de potentiels accidents, du fait de la rotation rapide des personnels sur un même poste, particulièrement sur la liaison transmanche, connue pour la densité de son trafic.
Aussi, nous pensons qu'il est opportun de proposer une législation plus protectrice et nous partageons le point de vue du rapporteur sur la nécessité de nous mettre en cohérence avec le projet de loi britannique, pour plus d'efficacité. Nous devons évidemment nous prémunir contre les méthodes agressives de dumping social, qui nivellent les salaires et les conditions de travail par le bas. La concurrence déloyale risque d'entraîner une course au moins-disant social. Certains évoquent un écart de 60 % de masse salariale entre un navire immatriculé au premier registre du pavillon français et un navire battant pavillon chypriote. Cet avantage comparatif permet de réduire les tarifs de ces opérateurs d'environ 35 %, pour une marge identique. Comment rivaliser ? Aussi, nous soutenons la proposition d'instaurer un salaire minimum pour les salariés travaillant à bord des navires effectuant les liaisons transmanche.
L'autre levier de réduction de la masse salariale est la moindre rotation des équipages, grâce à un temps d'embarquement allongé. Si les navires battant pavillon français prévoient une rotation de leur équipage selon un principe de parité entre le temps d'embarquement et le temps de repos, principe qui constitue une garantie de sécurité essentielle, ce n'est évidemment pas le cas pour Irish Ferries, qui a modulé ses règles pour faire baisser la rotation de 4,7 équipages par navire à 2. Nous saluons à ce titre l'adoption en commission d'un amendement du rapporteur tendant à instaurer une durée de repos équivalente à la durée d'embarquement. Néanmoins, le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoire proposera d'aller plus loin, afin de mieux prendre en compte les rythmes de travail, à l'instar de ce qu'avait proposé Sébastien Jumel. Il s'agit là d'une mesure importante et se cantonner au contrôle du taux horaire de salaire minimum pratiqué à bord des navires serait insuffisant, puisqu'il est inopérant sur les liaisons entre la Corse et le continent, pourtant soumises à un cadre beaucoup plus complet et exigeant.
Par ailleurs, il importe à ce stade de soulever la question du champ d'application du décret auquel renvoie l'article 1er – je relaie ainsi les inquiétudes des syndicats de marins. En effet, si, aux termes de son titre, cette proposition de loi « vise à lutter contre le dumping social sur le transmanche », il n'est pas à exclure, en l'état de sa rédaction prêtant à interprétation, que ses dispositions concernent également les lignes régulières sur la mer Méditerranée. Celles-ci sont exclues du registre international français, si bien que les navires battant pavillon français exploités entre le continent et la Corse sont immatriculés au premier registre, qui offre un cadre social plus protecteur pour les marins. Il semble primordial de sécuriser le statut des marins opérant sur ces lignes et de renforcer l'application du dispositif dit de l'État d'accueil. Nous demandons donc une clarification sur ce point et un engagement clair et précis du secrétaire d'État.
Au-delà de cette question, notre groupe soutient évidemment l'objectif de cette proposition de loi. Les débats qui suivront doivent nous permettre de la renforcer pour garantir une concurrence saine et loyale entre les opérateurs, au travers notamment de normes sociales et environnementales fortes ; de règles claires et identiques pour tous ; de contrôles rigoureux et exhaustifs. Nous y reviendrons.