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Intervention de Didier Le Gac

Séance en hémicycle du lundi 27 mars 2023 à 16h00
Lutte contre le dumping social sur le transmanche — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Le Gac, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Je voudrais d'abord vous dire combien je suis heureux que nous soyons ici aujourd'hui pour légiférer sur un sujet maritime aussi sensible et combien je mesure pleinement la responsabilité qui est la nôtre d'adopter un texte contre le dumping social dans la marine marchande.

C'est un texte attendu. Ce matin encore, j'ai reçu un message d'un habitant de ma circonscription, un commandant qui travaille depuis vingt ans sur les ferries de la liaison Douvres-Calais de la compagnie DFDS. Il se souvient du licenciement, il y a un an, de ses collègues marins de P&O Ferries et du traumatisme que cela a représenté dans toute la communauté maritime. Il voit la situation se dégrader au quotidien du fait du dumping social et il craint beaucoup pour l'avenir de la marine marchande. Il termine son message par des encouragements amicaux que je ne peux que partager avec vous : « Votre loi montre que le Gouvernement, en même temps que nos amis britanniques, agit dans le bon sens. C'est un vrai message positif. J'espère que votre projet aboutira et que vous pourrez rallier de nombreux autres pays européens ». Je souhaite aujourd'hui que nous soyons collectivement à la hauteur des attentes de ces marins. Au-delà de nos divergences, nous le leur devons.

Venons-en maintenant à la genèse de ce texte. Il y a un an, le 17 mars 2022, la compagnie P&O Ferries, acteur historique des liaisons maritimes transmanche, licenciait ses 786 marins sans aucun préavis. Quelques jours plus tard, cette même compagnie, par l'intermédiaire d'une société prestataire de main-d'œuvre, réembauchait des marins, souvent extérieurs à l'Union européenne, avec des conditions de travail dégradées et un salaire minimum équivalant à la moitié du salaire minimum britannique. Ces méthodes brutales ont choqué les opinions publiques de part et d'autre de la Manche.

Cet événement n'a fait que dévoiler un peu plus la mise en œuvre progressive du dumping social sur les liaisons maritimes. En visant à tirer toujours davantage vers le bas les salaires et les conditions de travail des marins, le dumping social menace très directement notre marine marchande et la viabilité de notre système, protecteur des marins et des passagers.

C'est bien la sécurité des navires, des marins et des passagers qui est ainsi mise en danger. Rappelons que la Manche, du rail d'Ouessant à Calais, est l'une des zones où le trafic maritime est le plus dense au monde. La Manche, c'est un camion qui la traverse par bateau toutes les cinq secondes, c'est un navire qui entre ou sort toutes les trois minutes et ce sont 91 000 personnes qui la traversent quotidiennement. Ce sont aussi des cargos, des porte-conteneurs, des pétroliers et des chimiquiers qui empruntent ses voies montantes et descendantes, coupées par le trafic intense des ferries, les sorties des flottes de pêche et la navigation de plaisance. C'est dire l'importance cruciale de la sécurité sur cette zone, véritable carrefour maritime.

Comment garantir cette sécurité des liaisons si nos marins ne bénéficient pas de suffisamment de temps de repos ? La compagnie P&O, dont les navires battent pavillon chypriote depuis le Brexit, comme Irish Ferries, ne veut entendre parler d'aucune harmonisation des règles sociales.

Face à ces méthodes, les armateurs français ont eu raison de tirer la sonnette d'alarme. J'étais avec eux à Saint-Malo le 5 novembre 2022, quand ils ont lancé leur appel en direction des pouvoirs publics. « On ne peut pas continuer dans cette spirale », avertissait ainsi Jean-Marc Roué, président du conseil de surveillance de Brittany Ferries, compagnie créée par des agriculteurs bretons il y a tout juste cinquante ans et premier employeur de marins français. Ses organisations syndicales se sont également demandé comment leur entreprise pourrait résister à une concurrence aussi brutale que déloyale.

En réponse à cet appel, monsieur le secrétaire d'État chargé de la mer, vous avez déclaré le 8 novembre 2022, à l'occasion des Assises de la mer de Lille : « Je n'accepterai jamais de voir de telles pratiques se développer. » Vous vous êtes engagé à mettre la pression sur les armateurs et à sanctionner les ferries ne respectant pas les dispositifs sociaux de l'État d'accueil. C'est à ce moment-là que nous avons commencé à échanger pour savoir comment rédiger et porter un texte de loi efficace devant la représentation nationale. Nous y sommes.

Ce texte, que j'ai l'honneur aujourd'hui de rapporter, vient donc traduire dans la loi la volonté d'affirmer que la juste rémunération des marins est un fondement de notre modèle social et constitue un principe dont le respect est crucial pour la sauvegarde de nos intérêts publics. Lors de son examen en commission, en plus du salaire minimum, nous avons adopté un amendement, que je défendais, comme beaucoup de mes collègues ici, visant à imposer la parité du temps d'embarquement et du temps de repos.

La difficulté de légiférer sur ce sujet tient au fait que le dumping social s'inscrit dans un phénomène mondial régi par des textes issus de conventions signées sous l'égide d'organisations comme l'OMI (Organisation maritime internationale) ou l'OIT (Organisation internationale du travail) ainsi que par de nombreux textes de l'Union européenne. Rappelons ainsi que le libre pavillonnement permet à des armateurs d'immatriculer leurs navires dans des États appliquant des normes minimales en matière de droit du travail maritime. Ce contournement des règles permet à ces armateurs de réaliser des économies de plus de 35 % sur leur prix final par rapport à leurs concurrents français – une situation qui n'est pas tenable pour l'économie du secteur.

C'est la raison pour laquelle nous avons fait le choix de proposer une loi de police pour légiférer de la manière la plus efficace sur ce sujet. En effet, une loi de police s'impose lorsque le respect d'une disposition impérative est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics. Cette loi de police se conforme à la fois à un critère de proportionnalité de la mesure, mais aussi à un critère concernant le lien entre l'application de la mesure et le territoire national. C'est pourquoi j'ai souhaité que cette loi, aussi ambitieuse qu'efficace, puisse se mettre en place rapidement sans être remise en cause à peine entrée en vigueur, ce qui serait catastrophique pour les acteurs de notre filière.

Je sais que, pour certains juristes, ce texte pourrait être considéré comme allant potentiellement au-delà de ce que nous pouvons faire. Je sais également que, pour certains de mes collègues, ce texte pourrait être considéré, politiquement, comme se situant en deçà de ce que nous pourrions faire. Je leur répondrai qu'avec ce texte, j'essaye de tenir les deux bouts de la chaîne et que j'entends que cette loi ne soit pas bavarde, mais sûre juridiquement, pérenne et applicable.

C'est un texte que nous avons enrichi en commission. Aujourd'hui, nous allons l'améliorer en demandant, par exemple, un durcissement proportionné des sanctions à l'égard des contrevenants. Nous souhaitons aussi que le Gouvernement nous explique comment il entend renforcer les inspections et les moyens dédiés à celles-ci.

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