En première lecture, devant cette commission, notre collègue Aurélien Taché avait débuté son intervention en vous disant que votre proposition de loi était aussi inique que dangereuse. Après le passage du texte au Sénat, nous maintenons cette position et nous nous étonnons toujours que le ministre chargé du logement, compte tenu de son parcours qui l'a conduit à être maire d'une ville ayant souffert plus que tout autre des marchands de sommeil et des propriétaires délinquants, puisse souscrire à cette proposition de loi.
Rien ne va dans votre texte. Alors qu'il est urgent de s'attaquer aux inégalités d'accès au logement, vous allez adopter une loi qui permettra aux propriétaires délinquants de continuer à exploiter tranquillement les souffrances des plus précaires, d'empocher le loyer de logements insalubres, parfois prêts à s'effondrer, comme de tristes exemples l'ont encore rappelé récemment. Pire, Monsieur Kasbarian, vous allez faire des militants du droit au logement des délinquants qui pourront être jetés en prison sous prétexte d'avoir voulu aider des personnes en grande situation de précarité qui cherchent un toit. Il faut être clair : votre proposition de loi est purement et simplement une criminalisation de la pauvreté. La Fondation Abbé Pierre souligne ainsi que les victimes de la crise du logement entrent massivement dans le domaine de la délinquance, puisqu'elles sont exposées à des peines de prison ou à des sanctions financières dès lors qu'elles cherchent à se mettre à l'abri dans des bâtiments vides ou qu'elles ne quittent pas leur logement après une décision judiciaire d'expulsion, pour éviter de se retrouver à la rue.
Ce n'est pourtant pas si surprenant, car votre texte s'inscrit dans une série d'attaques menées par le président Macron contre le droit au logement. Il s'inscrit également dans un contexte où la production annuelle de logements sociaux, indispensables pour héberger les Français aux revenus les plus faibles en zone urbaine, s'est effondrée : alors qu'elle était de 123 000 logements en 2016, elle se situe autour de 95 000 chaque année depuis la mise en place de la réduction de loyer de solidarité (RLS).
Puisque vous n'entendez rien, je vais redire les chiffres. La Fondation Abbé Pierre estimait à 330 000 le nombre de personnes sans domicile dans notre pays en 2022, soit 30 000 de plus que l'année précédente. Fin août 2022, selon les données de l'Unicef France et de la Fédération des acteurs de la solidarité, 42 000 enfants vivaient dans des hébergements d'urgence, des abris de fortune ou dans la rue. Par ailleurs, le rapport de la Fondation Abbé Pierre publié en janvier 2022 dévoilait que plus de 4 millions de Français sont non ou mal logés. Surtout, vous ne pouvez pas fermer les yeux sur le fait que la rue affecte gravement la santé : elle a tué 623 personnes en 2021.
Comment avons-nous pu en arriver là ? Comment un Président de la République élu sous la bannière du progressisme peut-il préférer la criminalisation de la pauvreté à la recherche de son éradication ? Sur ce sujet, comme sur celui des libertés, il s'agit d'un véritable retour au XIXe siècle, époque à laquelle la bourgeoisie voyait dans chaque membre de la classe laborieuse un délinquant potentiel. Votre proposition de loi est une terrible régression sociale et démocratique, qui conduira à une explosion du nombre de sans-abri, à moins qu'Emmanuel Macron ait aussi prévu de réintroduire le délit de vagabondage pour envoyer en prison toutes les personnes sans domicile fixe. Toujours à court d'idées pour éradiquer la pauvreté, vous en débordez en revanche pour la criminaliser. Les Écologistes s'opposeront à ce texte.