La protection du droit de propriété est un objectif légitime : c'est un droit fondamental au sens de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Néanmoins, le droit au respect du domicile, garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, est tout aussi fondamental, comme l'a rappelé le président de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, au sujet de votre proposition de loi. Dans des courriers de janvier et du 17 mars, cette commission et son président se sont inquiétés de la sévérité disproportionnée des sanctions prévues contre les personnes et les associations, ainsi que de la réduction des garanties auxquelles ont droit les personnes concernées par une expulsion. Alors que la garantie du droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l'ensemble de la Nation et devrait servir de boussole pour nos politiques publiques, la première proposition de loi défendue par la majorité en matière de logement durant la présente législature ne choisit malheureusement pas cet angle, ce qui me désole.
Ce texte visant à protéger les logements contre l'occupation illicite entend renforcer et compléter un dispositif précédemment adopté dans le cadre de la loi Asap. Par cette proposition de loi, que le Sénat, prenant le Gouvernement et vous-même par votre gauche, a lui-même rééquilibrée sur plusieurs points, vous voulez renforcer les sanctions contre le squat en créant de nouvelles infractions dans le code pénal, dont deux qui criminaliseraient des individus en difficulté. Vous comptez également accélérer et simplifier les procédures contentieuses en matière locative, en privant les personnes concernées du temps nécessaire pour prendre connaissance de ces procédures et y accéder. Par ailleurs, vous ne proposez pas de dispositif suffisamment sérieux pour prévenir les expulsions locatives et accompagner les publics fragiles, pas plus que les propriétaires, qui ne récupéreront pas les dettes locatives.
Deux textes, en deux ans, ont occupé plusieurs heures de débat parlementaire qui auraient pu servir à un projet ambitieux visant à traiter la cause et non les conséquences du mal-logement. En contrepoint des propositions de loi des groupes LR et RN portant sur le squat, souvent déposées en même temps que diverses séquences médiatiques, de multiples propositions législatives intéressantes ont été faites pour couper court, comme vous le souhaitez, au déport du marché locatif traditionnel vers celui des meublés de tourisme, pour supprimer des niches fiscales incitant à la location de courte durée, ainsi que l'a préconisé le rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) que le Gouvernement attendait lors des discussions sur le projet de loi de finances (PLF), alors que ce rapport a été publié dès juin 2022, pour renforcer la lutte contre des pratiques illégales connues, telles que les congés pour vente abusifs, ou pour donner des outils aux communes afin de limiter le déferlement des résidences secondaires. Pour diminuer, par ailleurs, le nombre de loyers impayés et apaiser les relations locatives, il faudrait inciter à utiliser la garantie Visale ou mettre en place une garantie universelle et obligatoire. Pour améliorer le pouvoir d'achat des Français, pour lutter contre la hausse des loyers, pour créer des outils d'aide à l'accession à la propriété, comme l'aide personnelle au logement (APL) accession, que la majorité a supprimée hâtivement lors de la précédente législature, il existe des solutions qui n'opposent pas, qui ne précarisent pas, qui n'isolent pas.
Vous avez écrit ce qui suit : « Nous avons tous dans notre entourage des personnes pour qui les litiges locatifs évoquent des expériences vécues, des moments difficiles traversés dans leur vie, parfois de véritables traumatismes ». Notre pays traverse une crise du logement croissante, qui touche 14,8 millions de personnes, dont les situations sont parfois extrêmement difficiles et traumatisantes, je vous l'assure. Ces 14,8 millions de personnes sont à mettre en regard de 170 expulsions. Nous ne nions pas les situations difficiles que peuvent vivre les propriétaires concernés, mais je ne peux comprendre que le premier texte de la majorité en matière de logement concerne la lutte contre le squat. Pourquoi ne pas donner la priorité, dans le calendrier législatif contraint qui est le nôtre, à la lutte contre le mal-logement, lequel ne cesse de susciter des alertes ? Que prévoit la majorité pour traiter ses effets ?