Lorsque Mark MacGann est venu me trouver, il m'a communiqué différents documents, dans l'intérêt de mes clients. Au-delà de ce qui a été révélé dans la presse sur le lobbying d'Uber, j'ai dans mon dossier la preuve que cette société organise depuis au moins 2015 l'illégalité de son activité. Il y a par exemple un logiciel permettant, en cas d'inspection de la DGCCRF ou de descente de police, de supprimer les données d'un coup. Des mails internes sont très clairs sur la coupure à l'accès aux données en cas de contrôle de police. Il apparaît d'ailleurs dans certains cas que les contrôles de police étaient connus de l'entreprise en amont. Nous avons d'autres preuves montrant que certains responsables savaient pertinemment qu'ils étaient en infraction, par exemple sur la loi relative aux données personnelles et au droit du travail. Tous ces éléments encore en ma possession révèlent qu'Uber se fonde sur le principe d'illégalité. Cette société ne craint pas non plus d'espionner ses concurrents ou de faire acte de concurrence déloyale en levant 1,2 milliard de dollars pour faire baisser le prix des courses de 20 % en cas de grève des taxis, sans parler des entorses au droit fiscal. Face à cette entreprise qui viole la loi de la République intentionnellement, que fait l'État ?
Je donnerai un exemple pour répondre. Avec Brahim Ben Ali, à la sortie de la crise de la covid-19, nous avons demandé une inspection chez Uber, qui a été refusée par l'Inspection du travail au prétexte d'une lapalissade : n'étant pas des chauffeurs salariés, ils n'ont pas à être inspectés. C'est une motivation pour le moins étonnante. J'ai cru comprendre que l'inspectrice du travail concernée avait subi des pressions de sa hiérarchie, selon Brahim Ben Ali. J'ai écrit à Elisabeth Borne en tant qu'avocat pour demander qu'elle utilise son pouvoir hiérarchique et que l'inspection ait lieu. Cette dernière ne m'a pas répondu, ce qui est un refus implicite selon moi, que je conteste devant le tribunal administratif. Celui-ci, après deux ans, est allé bien au-delà des conclusions du rapporteur public et a ordonné à l'Inspection du travail de procéder à une inspection. Il faut donc, à nouveau, que ce soit les travailleurs eux-mêmes, 139 travailleurs, qui saisissent le tribunal administratif – ils n'ont bien sûr que cela à faire – pour que l'Inspection du travail fasse son travail d'inspection.
J'apprends dernièrement que le ministre du Travail a fait appel de cette décision. C'est bien son droit. S'il s'agissait d'un atelier clandestin en plein Paris, aurait-il fait appel de cette décision du tribunal administratif ordonnant une inspection ? Je ne le crois pas. Aujourd'hui, un inspecteur du travail me dit faire l'objet de pressions. Un inspecteur de l'URSSAF me dit la même chose et ajoute qu'il a évalué le montant de l'infraction à deux milliards d'euros d'arriérés sociaux. Enfin, un officier de police judiciaire me dit aussi en « off » qu'il est empêché de poursuivre ses procédures, sans oublier l'inspecteur de travail qui, officieusement, me dit dans mon cabinet qu'il ne peut pas inspecter. Ce qui m'étonne également, c'est que toutes les administrations de l'État appliquent la même doctrine : considérer malgré les arrêts de la Cour de cassation que les chauffeurs Uber sont indépendants. C'est le cas de l'Inspection du travail. L'URSSAF a pour sa part effectué un contrôle aboutissant à un redressement de plusieurs milliers d'euros. Uber a gagné en appel en raison d'un vice de forme. Toutefois, l'URSSAF n'a pas souhaité refaire de contrôle par la suite. L'URSSAF était pourtant convaincue de l'existence d'un arriéré social. Je ne comprends pas non plus pourquoi le conseil des prud'hommes de Paris refuse de juger. J'ai aussi déposé quatre plaintes devant la CNIL, mais j'attends une décision depuis trois ans de l'autorité néerlandaise qui est cheffe de fil dans ces dossiers relatifs à la violation du RGDP. Comment est-ce possible alors que les autres affaires sont jugées sous 18 mois généralement ? Je ne peux pas m'expliquer cette situation.
Concernant Stuart, dont je défends deux sous-traitants, il faut savoir que cette société passe par des sous-traitants factices. En réalité, c'est Stuart qui est à la manœuvre, qui contrôle la capacité des livreurs à livrer correctement, qui les sanctionne et qui demande à ce qu'ils soient déconnectés de la plateforme. C'est Stuart qui fixe les salaires, etc. J'ai saisi le conseil de prud'hommes mais je me suis aussi posé la question de la responsabilité de La Poste. Stuart a été achetée en pleine propriété par Geopost, elle-même détenue par La Poste. Cette dernière a fourni des millions d'euros pour que Stuart continue à exercer son activité, alors que le principe même de celle-ci est de faire travailler quelques livreurs à vélo en statut d'autoentrepreneur – ce qui est problématique –, mais c'est surtout de faire travailler des livreurs motorisés faisant l'objet d'une réglementation spécifique sans chercher à savoir si celle-ci est respectée. Ainsi, Stuart fait travailler des sous-traitants qui n'ont même pas la capacité de transport léger. La Poste, en 2017, a procédé à un audit de Stuart. Je dispose même d'un enregistrement audio adressé à mes clients où une responsable de Stuart leur dit : « il y a un audit de La Poste, peux-tu me dire si tu as fait tes déclarations sociales et fiscales ? Si tu ne les as pas faites, ce n'est pas grave, mais il faut dire si tu les as faites ». En fin de compte, il faut savoir si Stuart a trompé La Poste ou si celle-ci connaissait les faits. J'en appelle à l'obligation de vigilance, qui porte notamment sur le droit du travail. Le rapport 2023 de La Poste qualifie Stuart de « modèle de progrès social ».