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Intervention de Jérôme Giusti

Réunion du jeudi 9 mars 2023 à 9h30
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Jérôme Giusti, avocat :

Je suis avocat depuis vingt-cinq ans. J'exerce dans le champ du numérique et suis spécialiste de la propriété intellectuelle et du numérique. J'ai été le témoin de la croissance de l'économie du numérique à travers l'accompagnement des acteurs économiques, que je continue d'accompagner. Pendant vingt-cinq ans, j'ai constaté l'émergence de l'esprit start-up, son idéologie et sa mythologie, qui se fondent sur trois piliers. Le premier est l'adage selon lequel « nous sommes tous des entrepreneurs et méritons tous de l'être ». Le second est le principe de l'expérimentation permanente, malgré les contraintes qu'il faut lever, et dont la loi et le droit font partie. Enfin, le troisième pilier est l'idée selon laquelle la richesse d'une entreprise ne se mesure pas à sa rentabilité mais à sa capacité à lever des fonds, d'après la mythologie de l'homme éduqué qui cherche à être riche en revendant son entreprise. Dans cette histoire, l'égalité aussi est un mythe : patrons, salariés, nous partageons tous le même open-space. Enfin, sous l'effet de la robotisation de l'économie, les salariés deviennent les premiers pourvoyeurs de données.

En réalité, nous assistons à un renforcement des inégalités. De surcroît, l'illégalité est érigée en principe de fonctionnement, à tel point que pour réussir dans l'économie du numérique, la plupart des gens que j'ai rencontrés pensent qu'il faut faire abstraction du droit, notamment du droit du travail.

En 2018, je me suis intéressé au droit du travail à l'âge du numérique. J'ai reçu des représentants de plateformes, des représentants syndicaux de plateformes, etc. Avec Thomas Thévenoud, nous nous sommes forgés la conviction que face à des plateformes atomisant les travailleurs, créant une relation individualisée et – paradoxalement – dépersonnalisée avec eux, il faut absolument que ceux-ci se regroupent. J'ai avancé l'idée d'une coopérative de chauffeurs – que je n'ai pas inventée. Ainsi, nous avons monté avec Brahim Ben Ali la première coopérative de chauffeurs VTC, regroupant aujourd'hui près de 500 sociétaires. Le 4 mars 2020, la Cour de cassation affirmait pour la première fois qu'un chauffeur Uber est un chauffeur salarié. Le 17 mars, nous entrions en confinement. J'ai reçu alors des demandes de plus de cent chauffeurs de VTC, privés d'emploi et de revenus, sans aucun droit au chômage ou au chômage partiel. En fait, ces personnes avaient immédiatement compris que quelque chose n'allait pas dans leur statut, en plus des contraintes inacceptables qu'elles ressentaient depuis des années. En mai 2020, j'ai déposé mes premiers dossiers devant le conseil de prud'hommes (CPH). Je représente aujourd'hui 280 chauffeurs devant cette instance. Au début de l'année 2021, Mark MacGann appelle mon cabinet et me dit qu'il a suivi mon combat, qu'il a des révélations à me faire et des documents à me communiquer. Pour ce faire, il finit par m'inviter à le rejoindre chez lui. J'y suis allé avec deux journalistes ayant tourné le documentaire À bout de course, diffusé sur France Télévision. Chez lui, Mark MacGann nous a librement parlé de l'influence qu'il a exercée sur les gouvernements en tant que lobbyiste d'Uber. Il m'a communiqué des pièces fort utiles dans la gestion de mes dossiers sur lesquelles je pourrai revenir ultérieurement. Mark MacGann ne s'est ouvert à la presse qu'en juillet 2022.

Aujourd'hui, en tant qu'avocat, je suis empêché d'aller au bout des procédures que je souhaiterais mener. J'ai compris que l'idéologie et la politique étaient aux commandes dans mes dossiers. Je fais référence à la mythologie et à l'idéologie dont je parlais selon lesquelles, au prétexte du plein emploi, de l'emploi à tout prix, on ne respecte pas les principes fondamentaux du droit du travail, de la réglementation RGPD et du droit fiscal.

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