Les QER et les QPR ne sont pas l'alpha et l'oméga de l'évaluation et de la prise en charge. Nous assurons un premier niveau d'évaluation en détention ordinaire ou en quartier d'isolement et une évaluation approfondie pour les orientations en QER, sauf pour les détenus terroristes à référentiel djihadiste dont l'évaluation, sauf exception, est systématique.
J'ai évoqué les 115 professionnels – éducateurs et psychologues spécialisés dans les phénomènes de radicalisation violente – intervenant pour partie en quartier spécifique et, surtout, en détention ordinaire. À partir de 2021, ce réseau a été complété par des médiateurs du fait religieux qui, désormais, interviennent en détention ordinaire, quoique de façon plus marginale, même si ce n'est pas une question de moyens.
Ces interventions se déroulent dans le cadre de différents modules. D'abord, une prise en charge et des entretiens individuels, puis, sur un plan collectif, des programmes de prévention de la radicalisation violente, qui ressemblent à ceux que l'on trouve en QPR, mais qui sont moins intensifs. Ils concernent le fait religieux, l'évolution de la civilisation islamique, le principe de laïcité, la citoyenneté, le vivre ensemble, tout ce qui relève de ce que nous appelons la « réaffiliation », laquelle ne se superpose pas forcément avec la réinsertion. Il existe donc des moyens et des dispositifs propres en détention ordinaire.
En février 2020, lorsque nous émettons un avis défavorable à l'orientation en QER de Franck Elong Abé en raison des incidents de 2019 et de l'orientation récente à la maison centrale d'Arles, nous demandons d'ailleurs à nos correspondants de diligenter une évaluation et une prise en charge en ambulatoire, c'est-à-dire, en détention, qu'elle relève du quartier d'isolement ou de la détention ordinaire – d'où les interventions de la psychologue de la MLRV, jusqu'à ce que M. Elong Abé refuse tout entretien.
Lorsque nous avons décidé, en février 2020, à l'instant t, de ne pas orienter Franck Elong Abé en QER, nous avons indiqué qu'une réévaluation serait opportune sans avoir pris date. Deux événements surviennent à cette période. La crise du covid-19, survenue peu après, a entraîné la suspension des orientations en QER dès le 16 mars 2020. Cet élément n'a pas peut-être pas été précisé au cours des auditions précédentes. Cela ne signifie pas que nous suspendons le travail mené en QER ; simplement, il n'y a plus d'entrées ni de sorties, plus de transferts de détenus, pour des raisons évidentes. Les orientations en QER sont donc interrompues sur le premier semestre 2020. Le second événement, survenu auparavant, est l'attentat du 5 mars 2019 perpétré à la maison centrale d'Alençon-Condé-sur-Sarthe par un détenu radicalisé de droit commun, Michaël Chiolo, et son épouse, qui avait entraîné une révision de notre politique dans le sens d'une orientation prioritaire de ce type de détenus – les droit commun radicalisés – en QER. Nous l'avons appliquée dès le redémarrage des sessions QER – officiellement, le 1er janvier 2020, mais dans les faits, au second semestre, en septembre.
Nous n'avions donc pas prévu de date de rendez-vous mais il s'agissait d'un report et non d'une fin de non-recevoir. Nous suivons 1 100 personnes en milieu fermé. En milieux ouvert et fermé, sur un plan national, environ 1 600 détenus terroristes à référentiel djihadiste et de droit commun radicalisés sont suivis. Cette organisation est très pyramidale : les demandes émanent du terrain et, ensuite, nous nous prononçons.
Les choses ont néanmoins évolué, déjà avant mais a fortiori depuis l'assassinat de M. Colonna : nous organisons des rendez-vous pour aborder, dans le cadre d'une CCS donnée, des situations dont nous avions reporté l'examen. La note du 29 novembre 2022 formalise cette réévaluation régulière, au moins une fois par an, de la situation des personnes qui n'ont pas été orientées en QER.
S'agissant de votre question relative au suivi automatique et systématique, ce sujet fait précisément l'objet de réflexions et d'actions. Nous sommes en train de créer une CCS ad hoc, avec une revue de dossiers systématique, annuelle, de toutes les situations qui n'ont pas été abordées dans l'année, à partir de la liste des 418 noms.
Nous ne pouvons pas dire que l'administration pénitentiaire ne s'est pas dotée des moyens nécessaires pour lutter contre la radicalisation violente : 482 personnels s'y consacrent. À ceux-là s'ajoutent les personnels formés à cette question, à savoir les CPIP et les directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation référents « radicalisation violente ». Au total, 850 personnes traitent les questions de radicalisation violente, dont plus de la moitié y sont exclusivement dédiées. En 2016, seules trois personnes travaillaient à la MLRV, auxquelles s'ajoutaient quatre-vingts personnels de soutien, qui plus est pour un nombre supérieur de détenus : environ 1 600 détenus de droit commun radicalisés et, de mémoire, 274 détenus terroristes à référentiel djihadiste.
Nous poursuivons les recrutements, l'enjeu étant de recruter des médiateurs du fait religieux, des islamologues également capables, sur un plan pédagogique, d'approcher des détenus qui ne veulent pas entrer en relation. Ils sont légitimes pour le faire et parviennent à des résultats puisque 94 % des détenus concernés, finalement, acceptent l'évaluation. De tels profils – des islamologues ayant une véritable expertise, avec une double compétence d'éducateur – sont rares et précieux, d'autant que le criblage de sécurité est rigoureux afin de ne pas laisser entrer dans nos dispositifs des personnes qui pourraient favoriser une imprégnation idéologique encore plus forte. Ils sont aujourd'hui seize, alors que j'ai les moyens d'en recruter vingt-neuf au plan national. Nous n'arrivons pas à combler ce déficit depuis un an, mais nous nous y employons.