Je n'ai pas dit, monsieur le président, qu'en mai 2021, je ne me serais pas prononcé en faveur d'une orientation en QER en raison de la dangerosité de Franck Elong Abé et d'un risque de déstabilisation du QER, à la différence de fin 2019 et de février 2020. En mai 2021, je me serais interrogé sur une telle opportunité, étant entendu qu'il devait être libéré deux ans plus tard et qu'une préparation à la sortie, à notre niveau, aurait peut-être prévalue sur une orientation immédiate en QER.
S'agissant de la détention ordinaire, j'entends que ma réponse ne vous satisfait pas puisqu'elle se limite à l'énonciation du processus d'évaluation de l'opportunité d'une orientation en QER à partir d'un instant t – fin 2019, février 2020, janvier 2022. Nous nous sommes alors prononcés sur l'inaccessibilité de Franck Elong Abé au dispositif d'évaluation approfondie du QER. La prise en charge en détention ordinaire relève quant à elle d'un deuxième niveau. En tant que chef de la MLRV, je dois m'interroger sur le meilleur dispositif de prise en charge – détention ordinaire, QPR ou quartier d'isolement – à partir de l'évaluation pluridisciplinaire, mais je ne suis pas capable de vous dire si sa place, à ce moment-là, était ou non en détention ordinaire.
En 2014, en 2015 et en 2016, nous avions connaissance de ses antécédents, notamment judiciaires, puisqu'il avait été écroué pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, après avoir rejoint un groupe taliban en Afghanistan en 2011 et en 2012. Néanmoins, sans le matériau de l'évaluation approfondie, je suis incapable de vous dire si j'aurais préconisé une détention ordinaire, un QPR ou un quartier d'isolement. En revanche, nous savions que la situation de Franck Elong Abé s'était stabilisée en QSI, que l'établissement où il se trouvait a décidé de l'orienter en détention ordinaire et de le classer au travail, et que la situation a ensuite évolué vers une préparation à la sortie.
Avant l'événement grave et dramatique du 2 mars 2022, nous ne disposions pas d'éléments permettant d'affirmer que la dangerosité de Franck Elong Abé justifiait la remise en cause de la préparation à sa sortie, prévue pour décembre 2023. Je ne peux pas faire de politique fiction en vous affirmant qu'en mai 2021, j'aurais considéré qu'il ne pouvait pas être placé en détention ordinaire. Selon l'échelon local, la stabilisation de la situation de l'intéressé pouvait conduire à une détention ordinaire. À l'échelon central, je ne peux pas vous dire, a posteriori, si cette décision était ou non la bonne.
Par ailleurs, je souhaiterais apporter une nuance sur la question du « haut de spectre ». Nous devons essayer de faire évoluer la situation d'une personne et de la désengager, fût-elle située en « haut de spectre », parce que nous sommes engagés dans une course contre la montre. La France est un État de droit, vous le savez bien mieux que moi, et la perpétuité réelle n'existe pas. Notre travail consiste donc à rendre ce temps de détention utile dans la perspective d'une sortie. Quand bien même une personne sortirait dans 30 ans, il faut faire en sorte que les lignes bougent entre le jour où elle est incarcérée et le jour de sa sortie. Je fais de la lutte antiterroriste depuis sept ans. Autant vous dire que j'ai aucune compassion ou sympathie pour les individus concernés. Malgré tout, lorsque, comme c'est le cas, une sortie est prévue à échéance de moins de deux ans, nous n'avons pas d'autre choix que de positionner notre curseur sur une préparation active des conditions de libération et non sur le seul isolement de la personne.