Je considère en effet, pour avoir suivi avec intérêt vos travaux, que certains éléments méritent d'être précisés.
L'adhésion de l'intéressé n'est pas un préalable à l'orientation en QER, même si l'obtenir est pour nous un objectif. L'orientation en QER, que certains détenus refusent, n'est pas soumise à leur adhésion. Il s'agit d'une décision d'affectation, faisant l'objet d'une procédure contradictoire. La personne a l'occasion de s'exprimer sur sa volonté ou son refus d'intégrer un QER et de faire valoir ses arguments, assistée de son avocat, mais la décision revient à l'administration, donc au ministère de la Justice.
L'orientation en QER, qui est un régime contraignant, peut donc être contrainte, ce qui justifie l'existence d'une procédure contradictoire. Que la personne se présente à l'entretien et refuse de s'exprimer n'est pas rédhibitoire. Seuls 6 % des 469 terroristes à référentiel djihadiste évalués en QER ont refusé d'être orientés. Pour moins de dix d'entre eux, nous avons pris la décision d'interrompre l'évaluation, en raison non de leur refus, mais des troubles graves qu'ils ont provoqués, mettant en danger leurs codétenus ou les surveillants pénitentiaires.
En QER, nous utilisons trois sources d'évaluation ; nous ne nous attachons pas uniquement à la parole du détenu. La première est l'observation quotidienne, parfois à l'insu du détenu. Je pourrai donner des exemples des techniques mises en œuvre, qui ne devront pas être rendus publics, pour préserver la sécurité des agents pénitentiaires et éviter toute suradaptation à nos dispositifs d'évaluation, qui pourrait favoriser une dissimulation dommageable.
Par ailleurs, chaque individu fait l'objet de seize entretiens, effectués par des binômes de professionnels dont la composition varie – un éducateur et un psychologue, un psychologue et un surveillant, un surveillant et un islamologue, etc. L'idée est de croiser les regards pour, le cas échéant, détecter des incohérences dans le discours de la personne et prévenir le risque de dissimulation, qui pourrait nous porter préjudice.
Notre troisième source est notre connaissance du dossier du détenu, qui est transmis aux équipes du QER en amont de son évaluation.
S'agissant de Franck Elong Abé, sa situation nous a été présentée en 2019. Il était question de le transférer du centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe. La question que nous nous sommes posée a été la suivante : un placement en QER permettra-t-il de procéder à une évaluation approfondie de sa situation ?
Notre doctrine prévoit deux conditions au placement en QER. Il faut que le détenu puisse être évalué à l'instant t – le mot important de cette phrase est « instant t » –, donc qu'il ne présente pas de troubles psychiatriques non stabilisés le rendant inaccessible à l'évaluation telle que je l'ai présentée. Second critère : nous ne pouvons orienter en QER des personnes qui, en raison de ce placement, pourraient devenir violentes, et commettre par exemple un attentat pour des motifs idéologiques.
Observer quotidiennement une personne en détention et lui faire passer seize entretiens individuels suppose de pouvoir la confronter à d'autres détenus. Dans le cadre des CPU, nous nous servons de l'effet de groupe. Si le QER est une prise en charge individuelle, il inclut une dimension d'observation collective, notamment pour mesurer les effets de leadership.
S'agissant des troubles psychiatriques, ils peuvent empêcher celui qui en souffre d'être soumis à seize entretiens individuels, et limiter leur utilité en matière d'évaluation.
Pour rappel, de juillet à septembre 2019, Franck Elong Abé a été l'auteur de multiples incidents, dont certains sont graves. Le 10 septembre, il s'est tapé la tête contre les murs de sa cellule, en vue, d'après ses dires, de se briser le cou. Il a dû faire l'objet d'une injection sous contention.
Compte tenu de son état psychiatrique, nous avons émis un avis défavorable à son orientation en QER. Monsieur le président, vous me demandez s'il aurait dû être placé en QER : compte tenu de sa situation à l'instant t, je ne pouvais pas formuler un avis favorable à l'orientation de Franck Elong Abé en QER, sans préjudice de sa réévaluation ultérieure.
Le 26 janvier 2022, de mémoire, la question nous a été posée à nouveau. Son état avait évolué, sa situation judiciaire également. Je rappelle que notre agenda collectif est de protéger nos concitoyens en améliorant la connaissance des détenus avant leur sortie. Or Franck Elong Abé était libérable en décembre 2023. À un an et demi de sa sortie, sa réévaluation s'imposait, et notre avis était totalement différent du précédent.