Nous sommes en complet désaccord avec ce texte dont la nature a profondément changé. Vous ne cachez plus vos intentions d'imposer, coûte que coûte, une relance du nucléaire, au mépris du bon sens, de la sûreté et de tout cadre démocratique. Ce matin encore, Madame la ministre, vous répétiez sur France Info que ce texte introduit un cadre d'accélération des processus administratifs pour les projets nucléaires, mais que ce n'est pas un texte programmatique énergétique. De qui vous moquez-vous ? À la suite de l'abrogation de nos objectifs énergétiques au Sénat, avec votre complicité, ce texte n'a plus rien à voir avec un texte technique. C'est devenu un texte éminemment politique, qui acte clairement un renoncement à notre trajectoire actuelle, et cela pour accélérer le nucléaire.
Vous avez donc mis la charrue avant les bœufs, sans prendre en compte les conclusions de tous les travaux de prospective énergétique et en préemptant le processus démocratique et les concertations publiques qui doivent pourtant éclairer nos débats quant à la future stratégie française pour l'énergie et le climat.
La CNDP et de nombreux acteurs se sont indignés de ce procédé qui déstabilise le débat et témoigne de votre mépris à l'égard des observations et propositions de nos concitoyens. Le nucléaire n'est qu'une option parmi d'autres, contrairement aux énergies renouvelables, qui sont indispensables.
Une telle décision, qui engagerait lourdement notre pays pour des siècles, ne peut être prise dans de telles conditions. Comme si ce mépris pour l'expression démocratique ne vous suffisait pas, vous comptez à présent dédaigner toutes nos exigences de sûreté en démantelant l'IRSN, pour que rien n'entrave l'exigence présidentielle de relancer le nucléaire.
Ce choix de ruiner un système mûri au cours de plusieurs décennies pour préserver la neutralité de l'expertise aura des conséquences graves sur l'impartialité et la transparence des recherches. Pire, il altérera la confiance de la population.
Qu'on soit pour ou contre le nucléaire, choisir de casser précipitamment notre système de sûreté alors que son efficacité est unanimement reconnue est irresponsable et dangereux, d'autant plus que le parc nucléaire est vieillissant, et le nouveau nucléaire, particulièrement complexe.
Votre déni de réalité, votre dogmatisme et votre absence de tout sens des responsabilités nous atterrent. Non, le retard accumulé dans la construction de réacteurs nucléaires n'est pas le fait de la lenteur des procédures administratives ou de la lourdeur des exigences démocratiques et environnementales mais bien des défaillances industrielles et des problèmes structurels que pose l'énergie nucléaire. Lever les exigences de sûreté ne suffira pas pour permettre à la filière, déjà mal en point, d'affronter les gigantesques défis qui se profilent comme la prolongation des centrales, leur vulnérabilité face aux changements climatiques ou la gestion des déchets. Le nucléaire ne renforcera pas notre prétendue indépendance énergétique si nous sommes incapables de mettre fin à nos échanges commerciaux de combustibles avec des régimes autoritaires comme la Russie. Surtout, le lancement de nouveaux réacteurs nucléaires n'améliorera pas notre dépendance vis-à-vis des énergies fossiles. Le nucléaire ne sauvera pas le climat : la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre a fixé des échéances précises pour 2025 et 2030, alors qu'un réacteur nucléaire, même si la procédure est accélérée, ne verra pas le jour avant quinze ou vingt ans !