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Intervention de Maud Bregeon

Réunion du mercredi 1er mars 2023 à 21h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMaud Bregeon, rapporteure :

Je suis très heureuse de commencer l'examen de ce texte, qui concrétise l'ambition annoncée par le Président de la République il y a un peu plus d'un an, le 10 février 2022, dans son discours de Belfort. Cette ambition est triple. Elle est tout d'abord de nature écologique : le nucléaire va nous permettre d'atteindre la neutralité carbone. Elle est ensuite industrielle, la souveraineté énergétique étant un combat de tous les instants, comme nous le rappelle depuis un an la guerre en Ukraine : nous nous devons de fabriquer chez nous les produits de première nécessité, dont fait partie l'électricité. Elle est enfin politique car la relance de la filière nucléaire exige l'envoi de signaux forts, indispensables pour attirer des étudiants et inverser le mouvement de perte de compétences.

Comme l'a dit le président Kasbarian, il est temps de ne plus avoir le nucléaire honteux. Le texte vise à accélérer la relance du nucléaire sans faire le moindre compromis sur la sûreté : nous en serons les garants.

La question n'est pas de savoir si l'on est pour ou contre le nucléaire, mais de choisir le mode de vie de notre pays dans les décennies à venir. Nous connaissons tous les avantages et les inconvénients de cette énergie. À ceux qui y sont opposés, je tiens à dire que je comprends leurs réticences et leurs interrogations sur l'appréhension du risque, la gestion des déchets et les conséquences de choix qui nous lient pour de longues années. Néanmoins, en pondérant ces avantages et ces inconvénients, il me semble que le nucléaire est le plus à même de produire, sans émettre de CO2, suffisamment d'énergie et d'électricité pour garantir aux Françaises et aux Français un mode de vie acceptable et pour relancer l'industrie dans notre pays, qui en a tant besoin. Ces sujets susciteront, je n'en doute pas, de nombreux débats entre nous.

Tous les acteurs que nous avons auditionnés, en dehors de ceux qui s'opposent idéologiquement au nucléaire, ont salué l'ambition et l'efficacité du texte. J'en profite pour remercier toutes les personnes qui ont répondu à notre invitation, quel que soit leur bord politique, ainsi que Christine Decodts, rapporteure pour avis, avec qui j'ai travaillé ces dernières semaines, et l'ensemble des chefs de file de la majorité, particulièrement mes collègues des groupes Démocrate et Horizons avec qui je prends beaucoup de plaisir à avancer sur ce texte.

Notre pays dispose d'une filière nucléaire d'excellence dont je veux saluer le travail, car elle a parfois été malmenée dans le débat public. Dans les années 1970, le plan Messmer a fait sortir de terre, en un temps record, cinquante-huit réacteurs nucléaires, lesquels fournissent à notre pays une électricité compétitive, décarbonée et pilotable. En somme, le XXe siècle a eu son plan Messmer et je formule le vœu que le XXIe siècle ait son plan Macron.

Le projet de loi initial comporte deux grandes parties, l'une relative aux installations à construire et l'autre aux installations existantes.

La première partie du texte crée des dispositions temporaires pour accélérer la construction de réacteurs électronucléaires. Cette construction est doublement encadrée à l'article 1er : d'une part, dans l'espace, ces dispositions ne valent que pour les réacteurs placés à l'intérieur ou à proximité d'installations nucléaires de base déjà déclarées ; d'autre part, dans le temps, ces mesures ne seront applicables que pour une durée limitée dont nous devrons discuter – les propositions actuelles du Gouvernement et du Sénat s'échelonnent de quinze à vingt-sept ans.

Globalement, la logique de cette première partie du texte repose sur la création d'un régime dérogatoire, qui vise à accélérer le processus d'autorisation de projets du nouveau nucléaire et à le rendre moins accidenté. Il existe en effet des aléas institutionnels qui prolongent la durée de construction, pourtant déjà très longue du fait des complexités techniques, technologiques, humaines et financières considérables des projets de nouveaux réacteurs. Ces délais sont le plus souvent justifiés et nécessaires pour traiter l'ensemble des problématiques environnementales, de sûreté et de sécurité : c'est le cas, par exemple, des trois à cinq ans d'instruction de l'autorisation de création, sur lesquels ce texte ne revient pas. Certaines de ces longueurs peuvent toutefois être résorbées : ce sont celles qui peuvent être dues à des lenteurs administratives, ou à la superposition de différentes procédures ou champs de compétences. De manière générale, la période de plus de quinze ans qui s'est écoulée depuis le début de la construction de Flamanville 3 exige que nous réexaminions le paysage législatif pour évaluer son adaptation à ces projets. Depuis vingt ans, nous avons eu tendance, et pas seulement pour le nucléaire, à superposer des normes et contraintes qui rendent, pour de mauvaises raisons, l'aboutissement de grands projets complexes extrêmement difficile en France.

L'article 2 accélère la procédure de mise en compatibilité des documents d'urbanisme avec les projets de construction de nouveaux réacteurs. L'examen conjoint par l'État et les collectivités concernées des modifications nécessaires permet d'associer les acteurs et d'aller plus vite.

L'article 3 intègre le contrôle de la conformité aux règles d'urbanisme des nouveaux réacteurs à l'autorisation environnementale ; il supprime l'étape des autorisations d'urbanisme et contribue donc à rationaliser les procédures au profit d'un contrôle global et rigoureux par l'autorité environnementale.

Nos collègues sénateurs ont globalement souscrit à ces deux articles, mais ont ajouté une disposition portant sur l'artificialisation des sols, sur laquelle je vous proposerai de revenir au profit d'une proposition de loi à venir.

L'article 5 va dans le même sens, en exonérant les nouvelles installations des dispositions de la loi « Littoral » de 1986, dont l'entrée en vigueur est postérieure au début de la construction de tous les réacteurs littoraux du parc historique. Cette disposition concernera au moins deux emprises, celles de Penly et de Gravelines. Bien que les sénateurs aient été d'accord sur le principe d'une telle exonération, ils en ont exclu les ouvrages de raccordement : je vous proposerai de les réintégrer car un réacteur non raccordé ne présente aucune utilité.

L'article 4 me paraît l'un des plus intéressants du texte. Il vise à mieux agencer le commencement des travaux sur un nouveau réacteur, mettant ainsi à profit les retours d'expérience sur l'échelonnement du projet. Les centrales nucléaires sont en effet un outil industriel complexe, et l'organisation logistique des chantiers de cette envergure représente un défi considérable. Le droit actuel crée une difficulté car il prévoit que l'ensemble des travaux débutent à la même date, à savoir la fin de l'enquête publique qui intervient au cours de l'instruction de l'autorisation de construction d'une installation.

L'article 4 permet de sécuriser et d'accélérer les travaux. En effet, il reporte le début de tous ceux liés à l'îlot nucléaire à l'octroi de la délivrance de l'autorisation de création, diminuant ainsi, comme l'a confirmé le directeur général de l'IRSN, le risque industriel et améliorant le niveau de sûreté de l'installation. J'insiste sur le fait que nous ne cherchons à accélérer que les travaux situés en dehors de l'îlot nucléaire : aucune disposition ne concerne les parties accueillant du combustible ou de la radioactivité. La suppression de plusieurs contraintes évitera la cascade de retards et permettra de lancer des travaux de construction qui sont sur le chemin critique du planning – terrassement, et canaux d'amenée et de rejet –, mais nous ne touchons à aucun moment à l'îlot nucléaire.

L'article 6 permet, quant à lui, que la concession d'utilisation du domaine public maritime soit délivrée sans déclaration d'utilité publique, directement par décret en Conseil d'État, à l'issue d'une enquête publique. Au Sénat, un amendement a été adopté pour interdire la délivrance de cette concession lorsque le site est situé en zone inondable : cette mesure, dont la rédaction serait source de blocages, ne peut subsister dans le texte, à moins de vouloir empêcher la construction des réacteurs que nous souhaitons.

La seconde partie du projet de loi porte sur les installations nucléaires existantes.

L'article 9 clarifie les modalités de réexamen périodique au-delà de la trente-cinquième année de fonctionnement. Désormais, l'enquête publique portera sur l'ensemble des conclusions de l'exploitant et il est explicitement écrit que l'ASN doit en tenir compte dans son analyse du rapport. Nous permettrons aussi d'adapter le régime des modifications effectuées dans le cadre des visites décennales en l'alignant sur le droit existant hors de ces visites et en permettant de faire ces modifications avant la fin de l'enquête publique, ce qui est évidemment bénéfique en termes de sûreté.

L'article 10, auquel je suis très attachée, supprime la mise à l'arrêt automatique d'une installation nucléaire de base lorsqu'elle n'a pas fonctionné depuis deux ans. Nous avons connu plusieurs exemples de cette situation, dont l'un des derniers à la centrale de Paluel, où un arrêt a été prolongé au-delà de deux ans à la suite de la chute d'un générateur de vapeur à l'occasion d'une visite décennale. Cet accident industriel notable, bien que sans impact sur la sûreté étant donné que le cœur du réacteur était déchargé lors de la manutention du générateur de vapeur, et qu'il n'y avait donc pas de combustible dans le bâtiment réacteur, a nécessité des travaux importants. Dans le nouvel état du droit, au terme de ces deux ans, ce ne sera plus à l'Autorité de sûreté nucléaire et à l'exploitant qu'il reviendra de décider de l'éventuel redémarrage de l'installation, mais à l'État. Le droit en vigueur a pu donner lieu à certains abus, comme en 2016, où le redémarrage du réacteur de Penly a été monnayé dans le cadre d'un accord avec l'exploitant sur la fermeture de Fessenheim, hors de toute logique technique et industrielle.

Je connais l'attachement de la majorité sénatoriale et de la commission des affaires économiques du Sénat au nucléaire. Si certaines des mesures de programmation énergétique ajoutées par le Sénat empiètent manifestement sur la loi quinquennale à venir, d'autres me semblent cohérentes avec notre volonté de relance de la filière – nous y reviendrons dès le début de ce projet de loi.

Enfin, l'article 11, qui ratifie une riche ordonnance de 2016 portant sur le nucléaire, sera le point d'entrée du débat sur le rapprochement de l'ASN et de l'IRSN, annoncé à l'issue du dernier conseil de politique nucléaire. Les interrogations que suscite ce projet sont légitimes et il est normal de pouvoir débattre de l'organisation de la sûreté nucléaire en France. Cependant, il est faux de prétendre que le système actuel fonctionne parfaitement. La Cour des comptes, dont les rapports sont souvent cités, évoque des problèmes importants à cet égard – j'aurai l'occasion de revenir sur le rapport où il en est question.

Par ailleurs, le mode de fonctionnement vers lequel nous pourrions tendre pour la sûreté nucléaire existe et a fait ses preuves dans d'autres pays. Il n'est donc pas aberrant d'envisager de l'appliquer en France.

Enfin, certains discours suggèrent que l'Autorité de sûreté nucléaire ferait preuve d'un certain laxisme envers l'exploitant. J'ai entendu bien des choses sur le nucléaire, mais je ne m'attendais pas à celle-là ! L'Autorité de sûreté nucléaire a toujours fait preuve d'une rigueur et d'une sévérité à toute épreuve, privilégiant toujours la sûreté par rapport à la production et s'appuyant sur l'IRSN pour disposer d'avis techniques. L'intégration de l'IRSN dans l'ASN ne changerait rien à ce fonctionnement.

Quant aux déclarations selon lesquelles, avec ce projet, l'accident nucléaire serait très probable, elles procèdent d'une méconnaissance majeure du fonctionnement de la sûreté en France et sont déshonorantes pour le président de l'ASN, pour l'organisation de la sûreté française et pour l'ensemble des salariés qui travaillent pour la sûreté, au niveau tant de l'ASN et de l'IRSN que de la filière indépendante de sûreté d'EDF. Je ne doute pas que, sur cette question comme dans tout ce débat, nous aurons des échanges riches et constructifs.

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