Intervention de Jean-Philippe Vachia

Réunion du jeudi 2 février 2023 à 11h00
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Jean-Philippe Vachia, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) :

Nous avons identifié, par exemple, un emprunt en 2017 auprès d'une personne physique, dans le cadre du financement de la campagne de Marine Le Pen. Plus précisément, le prêt avait été financé à partir d'une banque basée aux Émirats Arabes Unis. Par ailleurs, ce prêt a été remboursé. En outre, un emprunt de 500 000 euros avait été effectué par Les Républicains auprès d'une personne physique ayant des activités axées sur l'international. Nous avons également enregistré des emprunts auprès de personnes morales. Par exemple, le parti Cotelec, dirigé par Jean-Marie Le Pen, avait emprunté deux millions d'euros auprès d'une société chypriote en 2014. Cet emprunt a lui aussi été remboursé. Je reviendrai sur l'emprunt russe du Rassemblement national plus tard dans mon exposé.

Tant pour les campagnes électorales que pour les partis politiques, la loi de 2017 interdit les prêts de toute personne morale autre que les partis politiques respectant les critères de la loi de 1988, c'est-à-dire qui déposent leurs comptes auprès de notre commission, et les banques ou sociétés de crédit ayant leur siège dans l'Espace économique européen – soit les pays de l'Union européenne et trois autres pays. Pour information, 588 partis sont recensés par notre commission à ce jour.

Par ailleurs, il existe une condition de nationalité française ou de résidence en France pour les dons de personnes physiques. Par exemple, un Chinois résidant en France peut consentir un don à une campagne. Il existe également un encadrement des prêts des personnes physiques. Généralement, les mesures prises pour les campagnes électorales sont dupliquées pour les partis politiques. Par conséquent, les partis politiques ne peuvent désormais plus emprunter qu'auprès des partis politiques et des banques de l'Espace économique européen.

Nous publions chaque année notre avis sur les comptes des partis politiques et nous mettons en ligne les états financiers de ceux-ci. Vous pouvez donc regarder le bilan, le compte de résultat et l'annexe des dossiers d'environ 500 partis, car certains sont défaillants. Les annexes sont maintenant beaucoup plus détaillées : elles contiennent des informations telles que les montants consolidés des emprunts souscrits, répartis par type de prêteur et par type de prêt, et l'identité des prêteurs personnes morales. Notre commission a quant à elle accès à l'identité des personnes physiques prêteuses, mais nous ne publions pas ces listes de donateurs personnes physiques.

S'agissant des dons des personnes physiques, il existe une condition de nationalité française ou de résidence en France comme pour les campagnes. Cependant, ces conditions ne s'appliquent pas aux cotisations, ce qui me semble résulter d'un oubli du législateur. Concrètement, une personne étrangère a la possibilité de cotiser à un parti politique. Nous pouvons alors seulement constater, s'agissant des dons, qu'une procédure permet au mandataire de s'assurer que la personne qui consent le don est de nationalité française ou réside en France. Cependant, nous n'avons aucun pouvoir d'investigation et nous ne pouvons pas demander aux impôts si une personne est effectivement résident fiscal ou non. Nous n'avons que la déclaration, et effectuer une fausse déclaration expose une personne à des poursuites. Si nous avons des suspicions, nous pouvons saisir Tracfin. Au niveau des emprunts, nos contrôles peuvent désormais être plus effectifs, car nous veillons chaque année à la présence des emprunts au bilan des comptes des partis politiques et à l'amortissement ou non de ceux-ci. Il demeure cependant des risques et des marges d'incertitudes.

Dans les comptes des partis politiques, le passé a un certain poids. Des emprunts contractés avant 2017 et qui continuent de vivre peuvent encore y figurer. Ces emprunts peuvent avoir été réalisés auprès de personnes physiques. Le cas de l'emprunt russe correspond quant à lui à un emprunt réalisé alors par le Front national auprès d'une banque russe. Il s'élevait à 9 millions d'euros et il devait être remboursé à terminaison au bout de cinq ans, c'est-à-dire en 2019. Cependant, il a été renégocié avec une nouvelle banque russe en 2019, car la précédente avait fait faillite et la nouvelle était substituée dans les droits et obligations de la précédente. L'emprunt a été rééchelonné jusqu'à 2028 et nous veillons à ce que les annuités aient bien été versées et à ce que cet emprunt se réduise dans le passif d'année en année. Cet emprunt n'a d'ailleurs rien de mystérieux et il est possible de trouver toutes les informations nécessaires sur notre site.

De plus, il existe maintenant un encadrement des prêts des personnes physiques : ceux-ci ne peuvent pas excéder cinq ans, voire dix-huit ou vingt-quatre mois en cas de campagnes électorales ou pour un parti politique si le prêt a été consenti à un taux inférieur au taux d'intérêt légal. Cependant, aucune condition de nationalité ne s'applique aux prêts des personnes physiques et aucun plafond n'y est appliqué. Une même personne peut donc consentir un prêt de plusieurs centaines de milliers d'euros tant qu'il ne dépasse pas 47,5 % du plafond des dépenses électorales. Pour les prêts aux campagnes électorales, nous opérons un contrôle à travers le compte bancaire du mandataire. Nous pouvons donc vérifier l'origine immédiate d'un prêt, mais nous n'avons cependant pas la capacité de remonter en arrière. Lorsque les sommes sont très importantes, nous pouvons demander à la personne quelle est l'origine de l'argent. Si nous avons quelque suspicion, nous pouvons saisir Tracfin, mais nous ne pouvons pas demander à Tracfin de mener des investigations pour notre compte. Je rappelle par ailleurs que la loi de 2017 disposait que les prêts des personnes physiques sont autorisés à condition qu'ils ne soient pas effectués à titre habituel. Pour vérifier cette condition, nous devions disposer d'un certain recul. Depuis 2017, nous avons eu des élections européennes, municipales, départementales, régionales et législatives : nous avons donc suffisamment de recul pour déterminer si cette condition d'absence de prêteurs habituels est respectée, du moins pour les montants les plus importants.

Enfin, le cadre européen du financement de la vie politique est extrêmement compliqué. Un règlement de 2014 organise le fonctionnement des partis politiques européens et il crée une Autorité pour les partis politiques européens et les fondations politiques européennes. Le règlement dispose que les partis politiques européens et les fondations n'ont pas le droit de financer les partis politiques nationaux de manière directe ou indirecte. Toutefois, une autre disposition prévoit que les partis politiques européens peuvent participer aux campagnes électorales pour l'élection du Parlement européen. Le Conseil d'État, dans un avis du 19 mars 2019, a estimé qu'un parti européen pourrait cofinancer la campagne électorale d'une liste nationale pour le Parlement européen. Cependant, à la suite de contacts noués avec l'Autorité européenne, nous nous sommes aperçus que celle-ci se montrait bien plus restrictive. Elle explique qu'un parti européen ne peut pas cofinancer la campagne électorale d'une liste nationale, mais qu'il peut simplement faire une campagne sur des thèmes européens. Le directeur de l'Autorité a confirmé par écrit que le cofinancement n'était pas autorisé. Concrètement, lors d'un meeting qui rassemble le parti national et le parti européen, ce dernier ne peut pas se substituer au premier dans le financement de l'événement. Je reconnais que cette situation est particulièrement complexe.

Contrairement aux partis politiques nationaux, les partis politiques européens peuvent aujourd'hui recevoir les contributions de personnes morales dans une mesure limitée. En outre, un texte modificatif du règlement européen 2014 se montrerait plus strict vis-à-vis des risques d'ingérences extérieures.

En conclusion, nous estimons qu'il faudrait un meilleur encadrement des prêts des personnes physiques et nous insistons sur la nécessité de clarifier les modalités d'intervention des partis politiques européens dans les campagnes nationales. Nous souhaitons aussi voir élargir nos capacités juridiques d'action et pouvoir avoir des échanges interactifs avec Tracfin.

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