M. Boris Vallaud, qui était alors mon directeur de cabinet, pourrait vous dire que nous sensibilisions fortement la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) aux enjeux de l'intelligence économique. En effet, dans un contexte de guerre économique, le renseignement fait partie des armes que l'on doit être capable d'employer. Nous avions besoin de l'expertise de la DGSE.
Toutefois, en ce domaine, nos institutions sont trop éclatées. Peut-être cela s'est-il amélioré, mais mon expérience m'a montré que l'intelligence économique était traitée un peu par tout le monde, et donc par personne. Nous pâtissions d'un manque de coordination des sources d'information. La diplomatie, qui est censée être au contact des puissances étrangères, ne nous est d'aucun secours, car les diplomates parlent au Quai d'Orsay et les fonctionnaires du Trésor en poste dans les ambassades apportent du conseil aux entreprises françaises qui se présentent mais ne font pas remonter directement l'information. Il faut revenir sur la sectorisation des pouvoirs de l'État et l'extrême hiérarchisation de la remontée de l'information.
Le décret que vous évoquez avait été censuré par la Commission européenne, qui ne tolérait ce type de mesures que pour la défense et les jeux d'argent, me semble-t-il. Quand j'ai voulu prendre ce décret, les meilleurs esprits du Conseil d'État sont venus m'expliquer que la Commission allait me censurer. Je leur ai répondu : qu'elle censure ce qu'elle veut, mais nous, on fait ce qu'on veut chez nous. Ça a marché, ils ont donné leur accord. Cela montre que, de temps en temps, il faut savoir défendre ses positions. Il nous faut des gouvernants qui appliquent les textes ou des parlementaires qui exigent leur application. Il n'est pas nécessaire d'en écrire de nouveaux.
La question du monopole public d'EDF est à nouveau posée. Nous subissons une crise énergétique très dure. Nous évoluons dans un marché concurrentiel qui applique des règles totalement obsolètes. Nous faisons face à des puissances économiques et des empires qui utilisent l'économie comme une arme. Pourquoi voudriez-vous que nous nous désarmions en émiettant nos forces, par application des règles de concurrence ? Nous avions à notre disposition des outils formidables ; il nous faut à présent nous réarmer. C'est pourquoi je suis favorable au monopole public, quoique certains en pensent. La Constitution le permet, qui est plus forte que les traités européens : je veux le rappeler à tous ceux qui pensent que l'Union européenne a une autorité supérieure à celle de notre pacte constitutionnel.
Quant à sa dette, elle serait parfaitement soutenable si les recettes correspondantes étaient là, mais on les a supprimées ! Vous connaissez les chiffres mieux que moi, mais il doit manquer une vingtaine de milliards rien qu'à cause de l'Arenh. Il y a dix ans, EDF exportait ! La situation actuelle n'a rien à voir avec l'Ukraine, mais tout à voir avec l'organisation du marché européen. Il faut y remédier, et pour cela il ne suffit pas de faire des ministères qui ont « souverain » dans leur intitulé ; il faut une belle loi souveraine. Et je suis sûr que tout le monde la voterait, à l'Assemblée nationale comme au Sénat.
La filière nucléaire compte beaucoup de petites boîtes ultra-douées, avec un savoir-faire immense, très pointu, dans tous les secteurs – usinage, chaudronnerie, robinetterie, pompes… Elles travaillent parfois pour Naval Group, la défense ayant pris le relais de l'industrie civile. Mais elles n'ont pas de fonds propres, et les séries qu'elles produisent sont trop petites. Elles ont donc toutes cherché à se diversifier, dans l'aéronautique ou le ferroviaire surtout. Maintenant, les carnets de commandes recommencent à se remplir : on a un peu de visibilité. C'est le moment de demander à Framatome d'ouvrir ses comptes de sous-traitants et de rationaliser tout ça, en les aidant, en leur ouvrant des perspectives : le ministre chargé de l'industrie a un travail de filière à faire ; je vois bientôt M. Lescure et je lui en parlerai. C'est un conseil de sachant à sachant, en quelque sorte : il n'est pas interdit de partager les bonnes idées. Cela permettrait de surveiller tous les rangs 1, de veiller aux rangs 2, pour faire monter tout cela. Le Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (Gifen) doit aussi participer. Dans l'aéronautique et l'automobile, nous avions monté des fonds qui permettaient d'apporter des fonds propres à toutes ces petites entreprises qui en manquent. Cela n'existe pas ! Le plan de relance met un euro si vous mettez un euro, mais elles n'ont pas cet euro ! Il y a un problème de recapitalisation. C'est mon conseil pratique.
Vous m'interrogez sur le gaz de houille, de couche et de schiste. Nous avons du gaz, en effet. On ne peut pas utiliser la fracturation hydraulique, mais il existe d'autres technologies qui évitent les dégâts que les Américains ont dû subir. Appliquer le principe de précaution, ce n'est pas tout bloquer parce qu'on a peur, mais vérifier lorsqu'on a peur ! J'ai demandé une expérimentation, avec huit forages. On ne me les a pas accordés, j'ai perdu l'arbitrage. Le Premier ministre et le Président de la République ont lu mon rapport, mais ils ont fait retirer de mes expressions toute perspective de ce côté-là. Puis une loi a été votée l'interdisant définitivement. Aujourd'hui, nous serions pourtant bien contents d'extraire un peu de gaz !
Imaginer d'aller chercher le gaz des anciennes mines, ce n'est pas une injure. Je l'avais proposé au président de la région Lorraine, Jean-Pierre Masseret – un gars formidable qui avait été maire de Hayange. Il reste du gaz à exploiter. Cela n'a pas été fait, cela pourrait encore l'être.
Extraire des énergies fossiles est un problème, et je me réjouis que les investissements dans ce secteur soient en baisse. Je me félicite du fait que l'on sacrifie les fossiles, mais il faut bien noter que Total n'en est pas là, et que les énergies renouvelables sont jumelées au fossile : elles marchent avec le gaz. Je pense qu'il faut aller vers le nucléaire, l'hydraulique et l'éolien : voilà ma proposition personnelle de bouquet idéal.