J'aimerais revenir sur l'affaire Alstom afin de comprendre le processus de décision ayant conduit à l'abandon de cet outil clef pour notre souveraineté énergétique.
Lorsque vous êtes devenu ministre de l'industrie, avez-vous été informé du rachat par General Electric, quelques mois auparavant, de l'ancienne filiale d'Alstom, Converteam ? Cette dernière, issue du démantèlement opéré sous la gouvernance de Bruxelles entre 2005 et 2007, a été vendue à un prix extravagant puisque c'est le plus important LBO ( leveraged buy-out, ou rachat avec effet de levier) de l'histoire de France. Occupant à l'époque un rôle très mineur au cabinet de Clara Gaymard, je voyais tout : c'était la première étape de la prédation de General Electric dans notre pays.
À l'arrivée de la majorité socialiste au pouvoir, un rapport a été commandé à l'APE, qui se trouvait sous votre autorité. Avez-vous été informé de l'existence de ce rapport, en particulier du point essentiel qu'il soulevait, à savoir l'implication capitalistique de Bouygues dans Alstom et le fait qu'il souhaitait en sortir ? Entre 2012 et 2014, on aurait pu trouver une solution pour Bouygues, qui avait d'autres intérêts à défendre.
En avril 2013, notre compatriote Frédéric Pierucci a été arrêté à l'aéroport de New York sous des incriminations « bidon ». Il a vécu un enfer, comme vous le savez, car vous avez été solidaire de ses souffrances – je salue d'ailleurs le courage dont vous faites preuve dans vos affirmations contre les autres dirigeants d'Alstom. Aviez-vous à l'époque été mis au courant de l'arrestation de M. Pierucci et des implications de celle-ci ? Les autorités françaises ont-elles réagi au fait que les Américains faisaient pression sur Alstom en retenant l'un de leurs cadres importants ?
En 2013, General Electric a remporté une importante commande de turbines en Algérie qui était censée alimenter les usines de Belfort, en application des accords conclus entre General Electric et Paris en 1999. En fait, la fabrication de ces turbines a été transférée dans le Connecticut, Belfort n'en ayant obtenu que la maintenance ou l'ingénierie, avec une promesse mensongère portant sur la conception des rotors. Cette nouvelle preuve de l'hostilité de General Electric ou, du moins, de la défense des intérêts américains au détriment des intérêts de l'industrie française, aurait pu alerter nos autorités.
Par ailleurs, et je tiens à préciser que ce n'est pas du tout une accusation contre vous, j'ai rencontré, le 28 mai 2014, votre collaborateur Frédérik Rothenburger, chargé au sein de votre cabinet du suivi des participations de l'État. J'ai informé cette personne de mon expérience chez General Electric et de l'évolution du comportement de cette entreprise, dont la volonté de croissance externe très offensive s'apparentait à de la prédation. Avez-vous été informé de ce rendez-vous, si modeste soit-il, car j'avais tout de même communiqué des informations qui n'étaient pas négligeables ? De plus, comment expliquez-vous que la commission de déontologie ait autorisé par la suite le transfert M. Rothenburger à la banque Lazard, banque conseil de General Electric dans l'acquisition d'Alstom ?
Entre le 14 et le 16 mai, grâce à M. Dupont-Aignan j'ai été reçu par M. Hollande, que j'ai alerté sur les intentions de General Electric. Il m'a dit qu'il allait vous en parler ; vous en a-t-il informé ? Je précise évidemment que je peux répéter tout cela sous serment – il y a, dans ce pays, un tel mépris pour les lanceurs d'alerte !
Vous avez évoqué la corruption du système et de ceux qui sont censés défendre nos intérêts. Vous êtes également un défenseur du spoil system, à raison. Avez-vous un commentaire à faire sur ce sujet ?
M. Luc Rémont nous a dit sous serment qu'il n'avait pas perçu de rémunération lorsqu'il était chargé par Merrill Lynch d'une partie des négociations du démantèlement d'Alstom par General Electric. Avez-vous un commentaire à faire sur le fait que l'on confie la présidence d'EDF à quelqu'un qui a participé, de près de ou de loin, au démantèlement d'Alstom et qui s'apprête à racheter une filiale qu'il a lui-même contribué à démanteler ?