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Intervention de Jean Castex

Réunion du mercredi 8 mars 2023 à 17h30
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Jean Castex, ancien Premier ministre :

J'ai eu connaissance des sujets que vous avez évoqués dans le cadre de deux décrets de déport, le premier le 23 octobre 2020, qui concernait la situation de M. Yvan Colonna, le second le 17 décembre de la même année, qui se rapportait à celles de MM. Alessandri et Ferrandi. Je suis intervenu dans ce dossier, en application des décrets de déport, à deux reprises dans chacun de ces deux cas. J'ai dû statuer le 6 août 2021 pour répondre à la demande formulée par Yvan Colonna de lever son statut de DPS. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, j'ai refusé cette levée. Je tiens à le préciser tout de suite et de la façon la plus nette : je ne l'ai certainement pas fait pour des raisons politiques – mais il faudrait s'entendre sur la portée du mot « politique », car quelque part, tout est politique –, mais au vu des avis rendus par une commission compétente, instituée au sein de l'administration pénitentiaire, et par le parquet national antiterroriste (PNAT). Ces deux avis étaient défavorables pour plusieurs raisons. D'abord, parce que la période de sûreté, dont était assortie la condamnation de M. Colonna, n'était que très récemment échue. Ensuite, parce que l'intéressé s'était enfui avant son arrestation. Je rappelle d'ailleurs que le maintien du statut de DPS a précisément pour objet le renforcement de la surveillance à l'égard de l'intéressé. Enfin, parce que différents incidents disciplinaires s'étaient produits au cours de la période qui avait précédé la demande de M. Colonna. J'ai donc suivi la recommandation de la commission et rejeté la demande de levée du statut de DPS le 6 août 2021.

Un recours a été déposé contre cette décision, dont je ne suis pas sûr qu'il ait été jugé avant les faits tragiques du mois de mars 2022. En revanche, je fais observer à votre commission – mais sans doute le sait-elle – qu'à l'occasion d'un refus antérieur, prononcé par la garde des Sceaux – il n'y avait pas, alors, de décret de déport –, le tribunal administratif de Marseille avait rejeté le recours formulé par M. Colonna, le 21 janvier 2022. Or la motivation avancée à l'appui des deux refus était similaire. On peut donc supposer que la décision du juge aurait été la même.

C'est donc pour des motifs de fait – le Premier ministre applique les textes – qu'il m'est apparu nécessaire de maintenir M. Colonna sous ce statut.

J'ai, moi aussi, lu et entendu les allusions faites à une vengeance d'État. Je le dis très clairement devant cette commission : l'État n'a jamais cherché, en aucune façon, à se venger.

Si mes informations sont exactes, la commission compétente était appelée à se réunir le 8 mars 2022 pour examiner la nouvelle demande de levée du statut de DPS formulée par Yvan Colonna. Se sont alors produits les faits tragiques du 2 mars. Après la survenance de ces faits, je vous confirme avoir levé ledit statut, pour des raisons humanitaires, qui constituent la troisième hypothèse de levée du statut, que vous avez écartée monsieur le président.

Compte tenu de la hiérarchie des responsabilités s'agissant des faits condamnés par la justice ; compte tenu également, vous l'avez mentionné, de possibles troubles à l'ordre public que les faits perpétrés à l'encontre de M. Colonna auraient pu provoquer, il m'est apparu, en mon âme et conscience, très difficile de maintenir ce même statut pour MM. Alessandri et Ferrandi. Ce sont ces motifs et cet enchaînement des faits qui ont motivé les décisions que j'ai prises et que j'assume totalement devant vous.

S'agissant de MM. Alessandri et Ferrandi, je n'ai eu à connaître de leurs demandes qu'à une seule occasion, et ai rendu une décision le 12 janvier 2021. Cette décision, si ce n'est sur le fond, du moins sur la forme, a été confirmée par une ordonnance du juge des référés du tribunal de Versailles le 31 janvier 2022 – un temps de jugement assez long pour un référé – reprenant les mêmes motifs que ceux indiqués précédemment concernant M. Colonna. Par la suite, je n'ai plus eu à connaître de ce dossier jusqu'à la décision prise postérieurement à l'agression de M. Colonna.

Tels sont l'enchaînement des faits et les fondements des décisions que j'ai prises dans cette affaire extrêmement difficile.

J'ajoute que les intéressés, en particulier M. Alessandri, avaient par ailleurs formulé, de manière régulière, des demandes d'aménagement de leur peine. Si l'autorité judiciaire avait accédé à ces demandes, le statut de DPS serait tombé automatiquement. Comme vous le savez, ces aménagements de peine ont été rejetés en appel – ce qui n'est pas indifférent pour l'autorité politique et administrative –, la dernière fois le 7 octobre 2021 s'agissant M. Alessandri, ce qui avait suscité un certain nombre de réactions, notamment au sein de l'Assemblée de Corse.

Je précise, d'un point de vue administratif, que l'acte barbare dont a été victime M. Colonna a, en ce qui me concerne, suscité beaucoup de perplexité sur la nature de ce statut de DPS. DPS signifie « détenu particulièrement signalé », surveillé : il y a effectivement de quoi se poser des questions. J'ai donc demandé, dès le lendemain des faits, une enquête à l'Inspection générale de la justice (IGJ).

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