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Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Réunion du jeudi 16 février 2023 à 9h30
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva, président :

Les détenus DPS, Yvan Colonna particulièrement, ont fait l'objet de nombreux contentieux entre 2011 et 2022. Je suis choqué par une forme d'asymétrie qui subsiste en la matière. Certes, les détenus sont autorisés à renouveler leurs demandes, ce qui laisse entrevoir une possibilité d'évolution les concernant. Dans le cas d'Yvan Colonna, les avis des commissions locales se sont tous fondés sur des arguments exclusivement liés au procès. Quelle que fût son évolution en prison, les mêmes arguments étaient ainsi opposés.

L'instruction ministérielle permettait certes d'avoir cette analyse. Néanmoins, lorsque la juge d'application des peines antiterroriste nous indique, par exemple, que l'existence d'un comité de soutien attaché à prouver l'innocence Yvan Colonna fonde le lien quant à sa capacité éventuelle à s'évader, vous comprenez bien qu'on est là dans l'interprétation, surtout lorsque l'on connaît certaines personnes membres de ce comité. Ce comité de soutien n'est pas une organisation terroriste. Une telle argumentation heurte l'intelligence. Nous avons le sentiment d'une construction intellectuelle qui certes se tient au regard de l'instruction ministérielle, mais qui de notre point de vue, à tort ou à raison, permet à l'arbitraire de se nicher, d'autant plus que la véritable question ne concernait pas tellement la levée du statut de DPS, mais le rapprochement familial.

En effet, ce qui comptait pour Yvan Colonna c'était de voir son fils, sa mère. Il ne pensait pas qu'il sortirait de prison ; il voulait simplement voir ses proches. L'administration ne pouvait pas ne pas connaître cette demande, réitérée depuis une quinzaine d'années. Cependant, les refus de lever son statut de DPS ont été formulés avec les mêmes mots, à la virgule près, qu'Yvan Colonna soit détenu à Toulon, en région parisienne ou en Arles. Les arguments étaient les suivants : « Comité de soutien égale évasion. » ; le procès prouve l'appartenance à une mouvance terroriste, donc il peut s'évader ; trouble public en raison du fort impact médiatique lié à l'assassinat initial. Dès lors, il est évident que l'impasse était constituée.

Vous avez évoqué le cas des prisonniers basques, que nous connaissions. Dans ce cas, il y a eu une réussite. Dans le cas qui nous occupe, malheureusement, on est allé dans le mur, avec un drame. On ne peut contester le fait que c'est en raison de ce drame qu'Alain Ferrandi et Pierre Alessandri ont vu leur statut de DPS levé. Il y a donc bien eu une décision réglementaire et politique liée au drame, contrairement à ce qui s'est passé dans le cadre du travail de résilience dont vous avez fait état lorsque vous avez évoqué le cas des détenus basques. S'il faut se garder des comparaisons et sans relativiser ni la peine de la famille Érignac ni le traumatisme pour la République française avec l'assassinat d'un préfet, il convient néanmoins d'observer que le nombre de morts liés aux actions de l'ETA était autrement plus important. Malgré cela un chemin vers le rapprochement familial a pu, peu à peu, être trouvé.

Ce qui était en jeu, c'était le rapprochement familial. Or il nous semble qu'une quadrature du cercle avait été mise en place pour faire en sorte que les choses n'aboutissent pas, malgré les demandes. J'évoquerai un exemple précis qui le démontre.

Lorsqu'il a été auditionné devant cette commission, M. Jean-François Ricard, procureur de la République antiterroriste, a indiqué que le maintien de l'inscription d'Yvan Colonna au registre DPS avait été justifié par un arrêt du Conseil d'État, à l'issue d'un long contentieux. En l'espèce, le tribunal administratif de Toulon avait reconnu l'existence d'un excès de pouvoir, donné raison aux avocats et à la famille d'Yvan Colonna, et avait vu sa décision confirmée ensuite par la cour administrative d'appel de Marseille. En dernier ressort, le Conseil d'État avait finalement donné raison à la Chancellerie, en fondant ses arguments sur les critères de l'instruction et sur la condamnation. Il précisait que « la décision du garde des Sceaux attaquée était légalement motivée par l'appartenance à la mouvance terroriste corse attestée par sa condamnation ». On en revient au mêmes arguments : c'est la condamnation qui crée le lien avec la mouvance terroriste corse, la capacité d'évasion, etc.

Pour autant et sans que le Conseil d'État ne le remette en cause, le tribunal administratif met en lumière le fait qu'une « fausse » commission locale DPS a été réunie à Toulon pour justifier un avis négatif. Il y a bien là la démonstration que l'administration s'est empressée – alors que la commission locale rend un simple avis – de prétendre qu'une réunion s'était tenue alors que celle-ci n'a jamais eu lieu, un faux avis ayant été produit. Une véritable ingénierie a été mise en place et beaucoup d'énergie a été mobilisée dans ce but. Ces éléments nourrissent nos interrogations lourdes concernant les détenus du « commando Érignac ».

Entre 2020 et 2022, les choses se sont accélérées en raison d'un certain nombre d'échanges. La commission locale DPS de Poissy donne un avis favorable concernant Pierre Alessandri, avis non suivi par le Premier ministre le 31 décembre 2020. Il y a donc une décision politique.

L'administration pénitentiaire peut, par délégation de signature, refuser ou accepter de lever le statut au nom du ministre. En 2020-2021, M. Dupond-Moretti a dû se déporter pour les raisons que l'on connaît. Cependant, au cours du process, les avis des commissions locales DPS interviennent au moins une fois par an. Avant préparation d'une décision définitive du ministre de la Justice ou du Premier ministre, une commission nationale se réunit-elle, après la commission locale ?

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