En tant que ministre, vous avez dû gérer les échanges avec certains élus corses sur la question du rapprochement familial. Celle-ci était intrinsèquement liée soit à la levée du statut de DPS pour permettre le rapprochement, soit à des aménagements de la prison de Borgo pour permettre le rapprochement même en cas de maintien du statut. Ni l'une ni les autres n'ont été réalisés dans les temps impartis.
Dans l'immédiat, nous allons nous attarder sur le maintien du statut. Nous avons été témoins, en tant que députés, du traumatisme légitime qu'a provoqué l'assassinat du préfet Claude Érignac et de son poids symbolique. Nous avons lu les instructions ministérielles de 2007, 2012 et 2022 concernant le statut de DPS. Sur les six critères présidant au maintien ou à la radiation d'un détenu du répertoire des DPS, M. Laurent Ridel, directeur de l'administration pénitentiaire, nous a indiqué que deux avaient trait au parcours carcéral et que quatre pouvaient relever d'autre chose – la situation pénale ou encore les liens avec de supposées mouvances terroristes.
Dans l'affaire qui nous occupe, nous constatons la confrontation de deux parcours différents. D'une part, il nous est dit que M. Elong Abé allait mieux à Arles et qu'il fallait préparer sa sortie, certains trouvant normal qu'il ait un emploi d'auxiliaire. Les incidents dont il a été à l'origine ont été relativisés, voire cachés. Il y avait donc une relativisation des incidents et de la dangerosité, avérée, de Franck Elong Abé au regard de l'évolution de son parcours carcéral. Pour autant, sa dangerosité demeurait identique, les commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) sont à ce titre sans équivoque. D'autre part, le maintien du statut de DPS pour Yvan Colonna était certes prévu par les textes, mais il ne reposait que sur l'acte commis, les procès, et non sur le parcours carcéral. Or selon plusieurs personnes auditionnées, ce parcours était jugé correct voire très correct, et le risque d'évasion effectif – et non pas supposé – était faible.
L'assassinat du préfet Érignac a entraîné un traumatisme symbolique et politique pendant vingt-cinq ans. Nous essayons d'écrire une nouvelle page aujourd'hui, comme le souligne le discours prononcé par le ministre de l'Intérieur à l'occasion de la commémoration du 6 février dernier. Ce poids symbolique et politique n'a-t-il pas trop pesé sur l'évaluation de la situation des trois détenus du « commando Érignac », empêchant par conséquent le rapprochement familial ? Pensez-vous à l'inverse qu'il n'y avait pas moyen d'agir autrement ?
Nous posons cette question à l'ancienne garde des Sceaux, à un moment important pour l'histoire de la Corse et ses relations avec la République, avec des pages qui sont ouvertes et qui restent à écrire. C'est important pour le passé, pour ce qui s'est passé, mais, plus encore, pour l'avenir.