La nécessité de « relégitimer la dissuasion à travers la représentation nationale », selon l'expression de l'ancienne présidente de la commission, Madame Patricia Adam, me paraît toujours d'actualité.
Je voudrais tout d'abord souligner une double cohérence. La première concerne les moyens opérationnels. Nous avons évoqué les vecteurs aéroportés et océaniques, les porteurs que sont les Rafale et le sous-marin, ainsi que les moyens opérationnels qui constituent l'environnement nécessaire pour que les deux premiers opèrent dans les meilleures conditions de performance et de sécurité. Airbus, par le biais de ses filiales et de ses activités propres, est un acteur majeur qu'il s'agisse des moyens de ravitaillement, de renseignement, de résistance cyber ou encore de communication. Cette cohérence est essentielle pour garantir la pérennité et la crédibilité de la dissuasion.
La cohérence vaut aussi pour les acteurs : la représentation nationale qui définit les grandes orientations ainsi que les politiques et vote les budgets, mais également l'État, l'administration, les ministères des armées et des affaires étrangères, la DGA, le CEA et sa direction des applications militaires (DAM), l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onera), les forces armées et les industriels – outre ceux que nous représentons, citons également Dassault, Thales et Safran et l'ensemble des industriels français qui œuvrent dans ce domaine. Depuis la première mission d'alerte opérationnelle du Mirage IV, en 1964, l'ensemble des acteurs étatiques et industriels se mobilisent pour former l'un des plus beaux exemples de cohérence de politique publique et industrielle et d'action concertée sur des sujets particulièrement sensibles – qui ne font pas toujours l'objet d'un consensus démocratique. Nous autres industriels avons notre part de responsabilité dans le maintien de cette cohérence pour les décennies à venir.
Les objectifs d'excellence très particuliers tirent l'ensemble de nos activités vers le haut, en matière de technologie mais aussi s'agissant de notre responsabilité envers les forces armées et l'État. Certains industriels sont purement français ; d'autres, européens, comme MBDA ou Airbus. Divers accords garantissent notre pérennité sur les plans technologique et opérationnel, mais aussi en matière d'actionnariat et du droit de l'État face à un risque éventuel d'une prise de contrôle étrangère ou d'une réduction ou d'une délocalisation de l'activité. L'ensemble de ces risques sont couverts par le contrat liant Airbus à l'État. Ainsi, quelles que soient les évolutions de ces entreprises, le cœur de l'activité nucléaire reste sous contrôle des autorités françaises.
À travers ses deux filiales ArianeGroup et MBDA, Airbus se trouve au cœur de la dissuasion. En tant qu'actionnaire, notre objectif est de garantir la continuité de notre engagement et de faciliter les projets en coopération entre ArianeGroup et MBDA, sous l'égide de la DGA.
Je souhaite évoquer une question qui appelle notre vigilance. Les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sont promus à la fois par des organisations non gouvernementales, opposées au concept même de dissuasion, et par des acteurs financiers – agences de notation, investisseurs, fonds de pension – qui, pour d'autres raisons, mais avec des objectifs convergents, les imposent progressivement de sorte que les investissements dans nos entreprises commencent à être freinés. En tant qu'entreprise cotée et visible, dont l'activité très large place la décarbonation au premier rang de ses préoccupations, Airbus est en première ligne dans ce débat. Il est important que la représentation nationale s'en saisisse.
En effet, il s'agit d'un débat à la fois de légalité et de légitimité : certains armements, comme les mines antipersonnel, les armes chimiques, le phosphore blanc, ou les armes à sous-munitions, sont interdits par des traités internationaux. Ces armes sont prohibées, et aucun acteur occidental responsable ne les développe, ne les produit ni ne les stocke. Cependant, ces acteurs financiers et ces ONG entretiennent la confusion entre ces armes prohibées, au sens légal, par les traités, et des armes dites controversées, ce qui relève d'un jugement subjectif. Cette confusion soulève d'importantes difficultés dans la communication vis-à-vis des ONG et de très nombreux investisseurs, qui sont loin d'être minoritaires.
La France, en tant que puissance nucléaire, s'inscrit dans le cadre du traité de non-prolifération. Celui-ci prévoit que seuls les cinq États dotés ont légalement la possibilité de développer, de produire et de déployer des armes nucléaires. De même, le traité d'interdiction des armes nucléaires entré en vigueur en 2021 ne change en rien les droits et obligations des États dotés – et donc de la France – en la matière.
La question nous est régulièrement posée par les ONG, les investisseurs et certaines administrations à Bruxelles. Il serait donc utile que notre analyse juridique soit formellement confirmée par les autorités françaises et la représentation nationale. Nous pourrions ainsi confirmer à nos interlocuteurs que le traité d'interdiction ne met pas la France hors-la-loi dans la poursuite de ces activités. Il s'agit là de réaffirmer la légalité – au sens du droit international – pour la France de disposer d'une force de dissuasion.
Toutefois, la légalité ne suffit pas : il nous faut entrer dans le domaine plus complexe de la légitimité, en développant, comme nos interlocuteurs, un véritable plaidoyer, détaillant les raisons pour lesquelles la France est légitime à détenir une capacité nucléaire. La première est que l'Otan est une alliance nucléaire, caractéristique clairement réaffirmée lors du sommet de Madrid en juin 2022, à laquelle participent les trente pays membres. Cinq de ses membres, en dehors des trois États dotés, font partie du partage nucléaire de l'Otan, dont l'Allemagne, qui concourt ainsi au déploiement des armements nucléaires. Cette légitimité n'isole pas la France, qui fait partie d'un ensemble de puissances nucléaires. Par ailleurs, les actions menées par la France, sa politique de stricte suffisance et les décisions, prises de manière unilatérale et proactive, sur l'interdiction des essais et l'arrêt du travail sur les matériaux fissiles, contribuent à cette légitimité.
Il est important que la défense de la légalité et de la légitimité de la dissuasion française assurée par les industriels soit relayée par vos propres travaux.