Après la description de la composante océanique, il est intéressant de vous présenter la composante aéroportée. MBDA France est le maitre d'œuvre industriel du vecteur de la composante nucléaire aéroportée (et non de la charge nucléaire qui dépend du CEA) : l'ASMPA et, dans l'avenir, son successeur l'ASN4G. J'ai passé quarante années dans les armées, dont une quinzaine comme officier et pilote d'un Super Étendard embarqué sur les porte-avions Foch et Clemenceau, porteurs du missile air-sol moyenne portée (ASMP). J'ai également été directeur d'un tir d'entraînement des forces de l'ASMP, et j'ai commandé la force de l'Aéronautique navale, chargée de la préparation de la Fanu. Je suis maintenant heureux d'accompagner la production de ce vecteur du côté industriel.
Je vous propose dans un premier temps de vous faire une rapide présentation de l'historique de la capacité technique de MBDA dans le domaine de la dissuasion. Cette capacité vient de la branche « missile tactique » d'Aérospatiale dont nous sommes un des héritiers. Les études lancées par la DGA avec les ancêtres de MBDA sur le missile sol-sol Pluton, déployé par l'armée de terre, ont commencé dès les années 1960 et ont permis à ces derniers de maîtriser l'environnement d'un missile porteur d'une tête nucléaire. A suivi le missile Hadès, développé à partir de 1984 et prolongé au-delà des années 1990, dont la portée était encore plus importante. Les avancées technologiques acquises par les ancêtres de MBDA - Nord et Sud-Aviation puis Aérospatiale Missiles - pendant le développement du missile Pluton, plus la technologie du statoréacteur, véritable rupture technologique, ont permis de lancer le développement de la famille ASMP.
Il existe plusieurs missiles ASMP. Le premier, opérationnel dès 1986, était emporté sur le Mirage IV, puis sur son successeur, le Mirage 2000N, ainsi que sur le Super Étendard de la marine nationale. Il a été suivi par l'ASMP amélioré (ASMPA), actuellement en service sur les Rafale de l'armée de l'air et de l'espace et de la marine nationale. Nous préparons désormais l'ASMPA rénové (ASMPA-R), qui sera également accroché sur des Rafale.
L'atout technologique de la famille ASMP ? Sa propulsion à des vitesses supersoniques grâce à son statoréacteur. Le statoréacteur, qui permet la propulsion du missile pendant tout le vol, représentait à l'époque une rupture technologique majeure. Le précédent délégué général pour l'armement déclarait à son sujet en 2020 : « le statoréacteur permet, par rapport à un mode de propulsion fusée, de réduire considérablement l'encombrement et la masse du missile pour une portée et une charge utile données. Il permet au missile de couvrir un vaste domaine de vol à des vitesses très largement supersoniques. »
Le porteur – un sous-marin ou un avion –, le vecteur et le mode de pénétration des deux composantes de la dissuasion sont différents. L'ASMP peut suivre une trajectoire de basse, moyenne ou haute altitude et bénéficie d'une haute capacité à manœuvrer, puisque son moteur continue à fonctionner dans la phase terminale de pénétration. Il peut donc supporter des facteurs de charge très importants sans voir sa vitesse se dégrader. Il faut également souligner sa grande précision au but. Enfin, on peut également préciser ici que l'ASMPA étant emporté par un avion pouvant apponter sur un porte-avions, il doit donc faire face à des conditions d'emploi dans des environnements sévères. Des matériaux particuliers lui permettent de supporter de très hautes températures et d'importants facteurs de charge.
La fiabilité de l'ASMP est exceptionnelle. Le général Maigret, qui commandait la force aérienne stratégique (FAS), rappelait devant votre commission en 2019, que le taux de succès rencontré par les vingt-et-un tirs de missiles de la famille ASMP était de 100 %. La fiabilité demeure : le premier tir de l'ASMPA-R a eu lieu en décembre 2020, et le second, en mars 2022, respectant ainsi parfaitement le calendrier qui avait été défini en 2016 et se soldant par des succès.
J'en viens maintenant à notre capacité future : le missile air-sol nucléaire de quatrième génération (ASN4G). Dès les années 90, en parallèle de la préparation de l'ASMPA, les travaux technologiques sur son successeur ont été lancés et se sont clairement orientés vers le domaine des très hautes vitesses. Depuis, nous avons des moyens nous permettant de tester le missile et de simuler le vol de l'ASN4G en hypervélocité.
Les performances de l'ASN4G sont encore meilleures que celles de l'ASMPA-R. L'ASN4G devrait être opérationnel à horizon 2035 et devra le rester au-delà des années 2050 : il est donc nécessaire d'anticiper les défenses sol/air de l'adversaire à cet horizon. Le bureau d'études de MBDA rassemble une dizaine de collaborateurs qui opèrent une veille continue sur la défense adverse. Il apparaît que la très haute performance en vitesse et en manœuvre est la meilleure méthode pour parvenir à être détecté le plus tardivement possible, et compliquer la tâche de suivi d'un radar, voire, d'accrochage, et, enfin, à désorganiser une attaque d'un missile antimissile. Nous reproduisons ce concept, déjà présent dans l'ASMPA, sur l'ASN4G en augmentant ses performances. Nous entrons dans le domaine de l'hypersonique. Le facteur de charge sera, lui aussi, multiplié en phase terminale pour leurrer les défenses adverses. Enfin, l'ASN4G, grâce à son encombrement et son poids limités, sera compatible avec le Rafale et catapultable par un porte-avions, conformément aux objectifs définis par le Président de la République. C'est une réussite technique unique au monde.
Dans les années 2000-2010, au cours des programmes PROMETHEE 1, 2 et 3, nous avons mené, en cotraitance avec l'ONERA, des études sur l'hypersonique. Elles nous ont permis de valider un certain nombre de grands principes de l'ASN4G.
Enfin, j'aimerais souligner la synergie entre les compétences mises en œuvre pour la composante nucléaire aéroportée (CNA) et celles des missiles tactiques, faisant de MBDA un acteur logique de la CNA. En effet, les technologies mises en œuvre dans le cadre de la composante nucléaire aéroportée font appel à un haut niveau de compétences dans les domaines de l'ingénierie et des matériaux, notamment issus du domaine des systèmes de missiles tactiques comme les technologies liées à la propulsion, au guidage, à la navigation, à la pénétration ou encore à la furtivité.
Ces compétences irriguent les programmes conventionnels et de dissuasion. La polyvalence des moyens et des hommes permet de mettre en commun des compétences, des savoir-faire et des moyens d'entraînement et de maintenance. Il existe un équilibrage dans le domaine RH entre les différents programmes. Au sein de la direction des missiles longue portée de MBDA France, entre le MDCN, l'Exocet, les travaux sur le Scalp et ses versions futures, nous disposons de la taille critique nécessaire au maintien de l'activité nucléaire aéroportée à un coût maitrisé. Cela nous permet de conduire des programmes à la fois dans le domaine conventionnel et pour la dissuasion et d'être présents sur l'ensemble du spectre des missions du combat terrestre à la supériorité aérienne en passant par la projection de puissance et l'attaque dans la profondeur. Cette locomotive technologique nous permet de garder un coup d'avance sur les technologies de haut de spectre nécessaires aux missiles de croisière, aux missiles conventionnels, à la défense anti-missile et aux armes de supériorité aérienne.
C'est, par exemple, grâce à ces acquis en termes d'hypervélocité ou de défense anti-missile, que MBDA a pu proposer le projet de nouvel intercepteur endo-atmosphérique Aquila capable de traiter un large éventail de menaces : des missiles balistiques manœuvrant de portée intermédiaire, aux missiles de croisière hypersoniques ou haut-supersoniques, en passant par les planeurs hypersoniques, les missiles antinavires, ou encore les avions de combat de nouvelle génération.