Intervention de Catherine Colonna

Réunion du mardi 7 mars 2023 à 17h35
Commission des affaires étrangères

Catherine Colonna, ministre de l'Europe :

Oui. Il est vrai que j'ai également mentionné le Rwanda mais le président de la République ne s'y est pas rendu au cours de son dernier déplacement. Il y était, toutefois, allé précédemment, et il faudra sans doute y retourner. La secrétaire d'État Chrysoula Zacharopoulou s'est également rendue dans ce pays dernièrement.

Par ailleurs, nous avons annoncé la mise en place d'un pont humanitaire à Goma, qui est sous la pression des forces du M23.

Nous faisons également preuve de solidarité avec la Turquie et la Syrie à la suite du double séisme et des répliques qui viennent de se produire. La France a répondu présente dès le premier jour. Nous avons envoyé en Turquie, juste après la première secousse, des sauveteurs, des équipes cynophiles et du matériel. Nous avons ensuite déployé d'autres équipes, ainsi qu'un hôpital de campagne équipé et approvisionné, qui permet de traiter simultanément une centaine de patients. Nous avons aussi aidé les populations syriennes, malgré des difficultés d'accès. Il a fallu plusieurs jours pour que la Syrie accepte d'ouvrir un deuxième point de passage, puis un troisième, pour permettre l'acheminement de l'aide. Nous avons débloqué près de 20 millions d'euros pour les populations touchées par le séisme dans le Nord du pays, en nous assurant que l'aide ne bénéficie pas au régime mais parvienne directement aux populations, sans possibilité de détournement, par le canal des Nations Unies et par celui d'organisations non-gouvernementales (ONG) de confiance, qui se trouvent sur place.

Si nous avons pu agir vite et avec des moyens significatifs, c'est notamment parce que le Parlement a doté le ministère de moyens d'action ambitieux et innovants dans le cadre de la loi de finances pour 2023. Le montant de la provision pour crises, que nous utilisons semaine après semaine depuis quelque temps, a pratiquement été multiplié par dix, ce qui était une sage précaution. La France, qui est redevenue une des grandes puissances de l'humanitaire, est ainsi en mesure d'aider rapidement et concrètement, à hauteur de plusieurs dizaines de millions d'euros, ceux qui en ont besoin.

Au-delà de l'urgence, notre politique de solidarité repose sur des actions et des partenariats de long terme. Nous redoublons d'efforts, dans le cadre du G20, de la prochaine COP28 sur les changements climatiques ou encore de la COP15 sur la biodiversité, pour construire des réponses collectives et plus structurelles aux grands déséquilibres globaux et pour contrer le risque de fragmentation du monde, selon l'expression consacrée. Je tiens notamment à rappeler l'importance de l'enjeu écologique. Si le président de la République s'est rendu au Gabon, qui mène une action peut-être plus avancée que celle de ses voisins dans ce domaine, c'était en particulier parce que s'y tenait, à Libreville, le premier One Forest Summit. Organisé à l'initiative de la France, ce sommet sur les forêts avait pour objectif de parvenir, pendant qu'il en est encore temps, à un accord juste pour concilier la protection des forêts tropicales, qui sont des espaces cruciaux pour l'environnement et le climat, en raison de leurs puits de carbone non reproductibles, et le développement, raisonné et maîtrisé, dont les pays concernés et leurs populations ont besoin.

Autre enjeu de long terme, sur lequel nous pourrons revenir, nous devons conjurer les risques d'une nouvelle fragmentation Nord-Sud. On connaît, en effet, les observations et les critiques formulées par un certain nombre de pays du « Sud » – je mets des guillemets à ce terme car je crois qu'il n'y a rien de plus faux que de parler d'un « Sud global » : il existe beaucoup de Sud-s. La Chine se décrirait peut-être comme faisant partie du Sud global mais c'est aujourd'hui la première puissance industrielle et commerciale au monde. Je ne suis donc pas sûre qu'elle fasse partie du Sud. Il existe beaucoup de situations différentes et il faut traiter chacune d'entre elles.

Dans le cadre de la rénovation du multilatéralisme que nous appelons de nos vœux, nous voulons répondre à certains besoins, justifiés, comme celui de la finance climat. C'est à Charm el-Cheikh, lors de la COP27, qu'est venue l'idée de réunir un sommet sur les financements internationaux. Ce sommet, qui vise à sceller un nouveau pacte financier global, aura lieu à Paris, les 22 et 23 juin. J'ai pu transmettre le 24 février au secrétaire général des Nations Unies l'invitation du président de la République, qui a été acceptée. Les institutions financières internationales et nos différents partenaires étatiques seront également présents. Il est indispensable de renforcer l'accès des pays en développement, en particulier les plus vulnérables d'entre eux, aux financements internationaux pour répondre à leurs besoins, notamment en matière de transition écologique et énergétique. Il faut également associer à ces efforts les partenaires privés.

Je viens d'évoquer avec vous la ligne d'action de fond de la France, laquelle consiste à faire prévaloir des principes qui visent à travailler à l'unité contre les tentatives de division et, en même temps, à refonder et rénover certains partenariats pour qu'ils nous permettent de faire face aux défis du temps présent et à ceux que nous voyons poindre pour demain.

Tel est le sens de notre action sur le continent africain. Le président de la République s'est exprimé lundi 27 février pour fixer un cap qui doit nous faire sortir des logiques passéistes de compétition et de pré carré, lequel a depuis longtemps disparu. C'est dans cet esprit que nous renouvelons les modalités de notre partenariat militaire avec plusieurs pays africains. Il y aura moins de soldats français dans ces pays – le président de la République l'a indiqué dans son discours du mois de novembre –, et ceux-ci stationneront dans des bases cogérées avec nos partenaires africains et non dans des bases françaises installées dans ces pays. Nous voulons développer notre action en matière de formation et d'équipements : nous souhaitons être aux côtés de nos partenaires africains mais en occupant le second rang et non le premier.

Nous devons continuer d'investir dans ce continent car l'Afrique sera l'un des grands foyers de croissance dans les décennies qui viennent. Il nous faut donc y être présents, quoique d'une façon différente : forgeons des partenariats équilibrés et assumons ce que nous sommes en faisant valoir, sans arrogance et avec plus d'humilité que dans un passé lointain, nos valeurs, nos atouts – les liens humains, notre diaspora, nos entreprises, nos capacités de recherche, notre action en matière de santé – et nos intérêts. Le thème de la visite du président de la République en Angola en fin de semaine dernière a porté sur ces sujets : le chef de l'État s'est engagé auprès d'entrepreneurs agricoles africains et français et de belles perspectives de coopération se font jour dans ce domaine.

En Afrique, nous souhaitons passer d'une logique d'aide à une logique d'investissements solidaires, en déployant davantage de projets concrets, parfois visibles, susceptibles de répondre aux attentes de la jeunesse et de la société civile. J'ai été frappée, parmi tant d'autres expériences, de ma visite du quartier populaire de Yopougon à Abidjan, en fin d'année dernière : j'y ai rencontré des jeunes exerçant les métiers les plus divers – de la lutte pour les droits des femmes en passant par l'agriculture et la création de start-up – et j'ai constaté que nous ne savons pas aider efficacement ces jeunes qui sont extrêmement bien formés, positifs, ambitieux et confiants dans l'avenir. La taille de leurs projets se révèle souvent trop grande pour nos instruments d'ambassade et trop petits pour ceux de l'Agence française de développement (AFD) : nous avons donc créé, avec l'accord du président de la République, deux nouveaux dispositifs. Le premier est un fonds, doté de 40 millions d'euros, que nos ambassadeurs pourront utiliser pour aider directement, au plus près du terrain, des projets pilotés par ces publics ; le second est un autre fonds, rattaché au ministère et doté de 20 millions d'euros, dans lequel les instituts français à l'étranger pourront puiser pour soutenir les industries culturelles et créatives, qui sont particulièrement prometteuses dans de nombreux pays africains ; le but est également de développer une plus grande intimité avec la société civile, au-delà des cercles officiels.

J'aurai l'occasion de réunir prochainement, par visioconférence, nos ambassadeurs en Afrique pour échanger avec eux, leur rappeler les grands axes de notre politique, tels que le président de la République les a définis, et les entendre témoigner de leur expérience et formuler des recommandations et des propositions. Notre politique doit être, encore plus qu'avant, au contact des sociétés et pas uniquement des gouvernants. Ce n'est pas la France qui désigne les dirigeants des pays étrangers : nous nous adressons aux responsables en place mais aussi aux artistes, aux sportifs, aux jeunes, aux chercheurs, aux entrepreneurs et aux diasporas. Il n'y a aucune fatalité à voir des incompréhensions s'installer : nous savons ce qui les crée et, encore plus, qui en joue et par quels moyens ; vous savez à quels pays je fais référence et aux moyens qui sont utilisés.

Je vous sais attentifs aux évolutions en cours au sein de mon ministère : le rapporteur général des états généraux de la diplomatie, l'ambassadeur Jérôme Bonnafont, a achevé ses travaux et me remettra bientôt son rapport, réalisé dans les temps, en quelques mois. Avec son équipe, il a mené une consultation, inédite dans notre ministère, de l'ensemble des agents, quel que soit leur statut ou leur pays de résidence : près de 5 000 agents ont répondu, chiffre énorme car ce ministère, le plus beau de tous bien entendu, ne compte que 13 500 agents ; ainsi, plus d'un tiers du personnel a participé à cette consultation, signe du remarquable travail de l'équipe des états généraux et de son rapporteur général. Tout en me réjouissant de leur contribution, je remercie les parlementaires qui nous ont apporté leurs idées et leurs observations : nous en avons tenu compte autant que faire se peut ; je vous mets au premier rang, monsieur le président, car votre contribution personnelle fut très forte.

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