Malgré les difficultés, notre économie a encore créé 44 000 emplois au dernier trimestre 2022. Parmi les réformes à mener, il y a aussi celle visant à garantir la pérennité de notre système de retraite : je pense que vous ne me contredirez pas, monsieur le premier président, sur sa nécessité. Pour définir notre politique de rétablissement des finances publiques, il faut, me semble-t-il, suivre deux lignes directrices que vous avez évoquées. Tout d'abord, il convient de mener une revue exhaustive des dépenses publiques à échéance régulière. Je note que le Gouvernement a annoncé en ce début d'année l'engagement d'une telle revue, dans la perspective de l'organisation prochaine d'assises des finances publiques. Il importe que le Gouvernement nous informe rapidement des modalités et du contenu de l'exercice qu'il semble avoir entamé.
Ensuite, il est nécessaire de fixer une trajectoire pluriannuelle dans le respect de nos engagements européens, alors que l'encadrement communautaire des finances publiques nationales doit être rétabli sous une forme rénovée, actuellement en négociation, à compter de 2024. Dans cette perspective, il me paraît indispensable, comme à vous, que nous prenions appui sur une loi de programmation des finances publiques. Je me réjouis que votre rapport réitère les propos que vous avez tenus à plusieurs reprises en commission des finances : le vote d'une telle loi de programmation constitue un enjeu d'intérêt national. Il nous faut remettre l'ouvrage sur le métier.
J'en viens au bilan que vous dressez de quarante ans de décentralisation. Ce sujet m'est cher : je crois dans les bienfaits d'une décentralisation réelle car j'ai foi dans la sagesse, la compétence et l'engagement des élus locaux. Je remercie la Cour des comptes pour ses constats lucides et objectifs. Je considère que l'action locale doit être structurée autour d'engagements et de garanties, y compris en matière de finances publiques. Nous savons tous quels sont les objectifs de la décentralisation : renforcer la démocratie locale ; rapprocher la décision administrative et politique du citoyen ; améliorer l'efficacité et l'efficience de la gestion publique ; adapter nos politiques publiques aux spécificités de chaque territoire.
En 2009, dans le cadre d'une première étude d'ensemble sur la décentralisation, la Cour des comptes dressait un bilan contrasté. La lecture de votre rapport confirme que les quinze dernières années n'ont pas permis une amélioration nette de la situation, ce dont témoignent l'abstention massive aux élections locales, la complexification continue du millefeuille administratif et les interrogations des élus locaux eux-mêmes sur le sens et l'efficacité de leur action, pourtant courageuse et déterminée. J'évoque ces points sans aucun esprit polémique : je crois que la situation actuelle sédimente des insuffisances cumulées dans le cadre de majorités politiques très variées. En clair, sur beaucoup de politiques publiques, nous avons fait les choses à moitié, nous sommes restés au milieu du gué. Vous soulignez également, à juste titre, un manque de lisibilité pour nos concitoyens dû à des compétences intriquées et un financement complexe. « Qui paie quoi ? Qui fait quoi ? Qui est responsable de quoi ? », nous demandent-ils tous les jours. Si les dépenses locales ont fortement augmenté ces dernières années, nos concitoyens n'ont vu que le recul de l'État et s'en plaignent.
Nous devons, je crois, travailler selon quatre axes principaux. En premier lieu, il faut aligner compétences, responsabilité et financement. Votre étude montre, avec l'exemple des politiques en faveur du développement économique, qu'il faut adopter autant que possible le principe de l'exercice d'une compétence bien identifiée par un seul niveau de collectivité territoriale. Ce principe est toujours plus efficace que la tentation que nous pouvons avoir de créer des cénacles locaux de coordination chargés d'établir des schémas directeurs ou des documents de planification.
En deuxième lieu, il faut simplifier l'organisation, mieux coordonner les interventions et faire évoluer les modalités d'exercice des compétences. Cet appel à la simplicité et à la cohérence vaut également pour l'État : vous montrez que les politiques touristiques et culturelles nationales ne sont pas exemptes d'actions doublonnant de celles des collectivités territoriales. Il faut des chefs de file clairement identifiés. Nous sommes parvenus, ces dernières années, à susciter la création de communes nouvelles, notamment dans la ruralité, et à homogénéiser et à rationaliser la carte de l'intercommunalité. Il faut poursuivre nos efforts pour tenir compte des nouveaux enjeux du développement durable et du mur d'investissements qui leur sont associés. Par exemple, pour la gestion de l'eau, il faudrait adopter l'organisation territoriale au sous-bassin hydrographique. Je suis persuadé que le verdissement de nos politiques publiques trouvera son levier le plus efficace au plan local.
En troisième lieu, le rôle de l'État aux côtés des collectivités territoriales doit être repensé. Celui-ci doit se recentrer sur son rôle de stratège et favoriser la décision au plus près des territoires : pouvoir dérogatoire aux normes attribué aux préfets, multiplication des possibilités de différenciation territoriale, lois moins bavardes qui permettent aux élus de « faire le dernier kilomètre » en lien avec l'État. Les solutions existent, il faut les mettre en œuvre.
Quatrième et dernier axe : le dialogue financier avec les collectivités territoriales est primordial, comme l'ont prouvé les filets de sécurité que nous avons adoptés, d'abord durant la crise sanitaire, puis à l'occasion de l'augmentation des coûts de l'énergie. Pour des politiques publiques locales sereines, il faut donner aux collectivités des garanties sur leurs ressources, ce qui passe par une refonte des dotations, devenues particulièrement illisibles, et par la garantie de leur autonomie financière. Mais, parce que l'État est le garant en dernier ressort de l'ensemble des finances publiques, il faut aussi des engagements de la part des collectivités territoriales. Ces engagements ne signifient pas nécessairement contrainte ou sanction, mais c'est en partageant une trajectoire commune avec un effort identique que nous arriverons conjointement à maîtriser nos finances publiques.
Pour renouer avec les objectifs de la décentralisation, vous proposez la création d'une instance de dialogue indépendante entre le Gouvernement, le Parlement et les collectivités territoriales. J'y suis évidemment favorable et je suis disponible pour aider à sa mise en place. Ce nouvel organe constitue une condition nécessaire, mais non suffisante, pour construire une nouvelle étape de la décentralisation dans un climat de sérénité, de responsabilité et de confiance réciproque.
Dans un contexte marqué par l'obligation d'assurer le redressement des comptes publics, auquel les collectivités territoriales doivent être associées, et par la nécessité d'améliorer l'efficacité de nos services publics locaux, la tentation de l'immobilisme doit être surmontée.