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Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du mardi 14 mars 2023 à 15h00
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Je pense, à l'inverse, que les crises sont devant nous, parce qu'elles sont structurelles et très nettement liées à ce qu'on appelle le néolibéralisme. Revenir aux recettes du néolibéralisme comme si rien ne s'était passé, c'est un contresens.

Vous appelez encore et toujours à réduire le déficit public, mais vous ne semblez pas envisager d'augmenter certains impôts ni de revenir sur la suppression de certains autres. Pourtant, vous le constatez bel et bien, la suppression de la taxe d'habitation nous a fait perdre 2,8 milliards de recettes en 2022 ; celle de la redevance audiovisuelle, 3,2 milliards ; la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés, 2,9 milliards. Je ne parle même pas du manque à gagner résultant de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) : il s'élèvera à 4 milliards dès 2023. Et nous attendons la suite.

Force est de constater que ce sont les plus riches qui bénéficient principalement de ces baisses et suppressions d'impôts, tandis que les impôts indirects et injustes, comme la TVA, – rappelons qu'ils sont, proportionnellement, les plus importants – restent intacts et pèsent de plus en plus lourd sur les épaules des classes populaires. Il ne s'agit donc pas d'augmenter globalement l'impôt pour le plus grand nombre, mais il est véritablement urgent de le rendre plus juste et plus efficace, au bénéfice de ceux qui subissent depuis des années ce poids fiscal et ces inégalités.

Monsieur le premier président, vous avez indiqué ce week-end – vous voyez que je vous écoute – que la Cour était disposée à se pencher sur les 160 milliards de dépenses fiscales annuelles pour identifier « ce qui fonctionne et ne fonctionne pas ». Je comprends de votre interview que la Cour est prête à remettre en question certaines niches fiscales néfastes ou inutiles, notamment le crédit d'impôt recherche. Incontestablement, c'est une piste utile, mais je pense qu'il faut aller plus loin, en s'attaquant à ce qui favorise les revenus du capital, désormais jusqu'à l'indécence. À ce sujet, j'attends impatiemment la sortie de la nouvelle enquête de l'Institut des politiques publiques sur les revenus et les impôts payés par les ultrariches en France. Ses premiers chiffres indiquent que, pour l'infime minorité – 0,0001 % – des plus fortunés, le taux d'impôt prélevé se rapprocherait de zéro. C'est là que mon avis diverge avec celui de la Cour.

En effet, au lieu de se pencher sur ce problème ou, à tout le moins, d'appeler à revenir sur les baisses d'impôts dont ont bénéficié les plus riches, la Cour préfère pointer du doigt le niveau de dépense publique, qui croît selon elle « à un rythme soutenu ». Pourtant, cette évolution de 3,2 % en 2023 est, hors inflation, inférieure à la croissance économique. Si l'on met de côté les dépenses « exceptionnelles » liée aux crises sanitaire et énergétique, elle n'est plus que de 0,7 %. En présentant ces chiffres comme élevés, en déplorant la faible baisse du déficit – de 5 points entre 2022 et 2023 – et en n'appelant pas à revenir sur les baisses d'impôts effectuées, aussi injustes et coûteuses soient-elles, la Cour passe un message clair : c'est encore la dépense publique qui est attaquée.

Le Gouvernement ne s'y est d'ailleurs pas trompé, puisqu'à peine votre rapport sorti, M. le ministre de l'économie et des finances a annoncé des milliards d'euros d'économies sur les dépenses publiques prévues à partir de 2024 – vous l'avez évoqué, monsieur le premier président. Un tel raisonnement s'inscrit dans la continuité directe des politiques de ces dernières décennies – vous le voyez, je n'incrimine pas seulement les gouvernements qui se sont succédé depuis 2017. Celles-ci ont significativement affaibli la puissance publique et nous ont rendus toujours plus vulnérables face aux situations d'urgence et aux crises, qu'elles soient sanitaires – comme nous l'avons malheureusement constaté avec le covid – ou environnementales – comme nous l'ont montré les incendies de cet été et nous le rappelle aujourd'hui la sécheresse.

C'est cette politique libérale qui, d'un même geste, attaque sans cesse nos mécanismes de solidarité, sur lesquels repose pourtant la cohésion sociale de tout le pays. Cette cohésion est de plus en plus fragilisée par les attaques constantes contre nos systèmes de retraite, de chômage, de santé. Ces attaques sont menées systématiquement dans l'objectif de réduire les dépenses publiques, spécifiquement celles qui sont consacrées à la solidarité, en prétextant à chaque fois vouloir sauver lesdits systèmes.

Qui plus est, le contexte dans lequel ces attaques sont conduites n'est pas anodin. Nous le voyons à travers les exigences formulées par la Commission européenne à propos du plan budgétaire qui doit lui être soumis en avril prochain : elles signent la fin du « quoi qu'il en coûte » et le retour de l'objectif de 3 % de déficit. En témoigne aussi le retour annoncé de la procédure pour déficit excessif.

Ces pressions de la Commission européenne appellent deux commentaires de ma part. Tout d'abord, bien évidemment, il est urgent que les Français et les autres peuples européens reconquièrent leur souveraineté économique en modifiant les traités austéritaires qui leur ont été imposés. En définitive, ceux-ci nous amènent malheureusement à abandonner une grande part de notre souveraineté au marché.

Ensuite, dans le même esprit, je constate l'importance qu'aurait revêtue l'annulation de la dette covid, que j'avais appelée de mes vœux dès 2020. Créée de manière exceptionnelle pour faire face à une crise sans précédent, cette dette était détenue – et reste en partie détenue – par les banques centrales. Elle aurait donc pu être annulée sans provoquer de défaut sur les marchés. À l'époque, on me répondait soit que, par principe, une dette ne doit jamais être annulée, soit que, de toute façon, il n'y avait pas d'enjeu concernant la dette covid puisque les stocks de dette n'étaient jamais vraiment remboursés. Or, depuis lors, la Banque centrale européenne a décidé de revendre sur les marchés financiers les titres de dette d'État qu'elle possède, faisant peser un risque supplémentaire sur notre économie. Résultat : cette dette covid qui aurait pu et dû être annulée en raison de son caractère exceptionnel…

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