Quand on se prépare à accueillir un enfant, que l'on attend parfois depuis longtemps, et que tout à coup la grossesse s'interrompt brutalement dans la douleur, c'est tout un monde à venir qui s'effondre, c'est une épreuve qui peut ébranler profondément. Cette épreuve est le plus souvent entourée de silence, de questionnements : difficultés à en parler, peur d'activer ou de réactiver la tristesse et la souffrance. Si chacun a sa manière de réagir, ce qui allait advenir et qui n'adviendra pas ne disparaît pas du jour au lendemain sans laisser de traces, comme si la vie à venir et les projets qui l'accompagnaient n'avaient pas de valeur. La société doit être au rendez-vous et accompagner celles et ceux qui en ont besoin et qui le veulent. Chaque année, 200 000 femmes environ connaissent l'épreuve d'une fausse couche. Il est vrai qu'aucun dispositif n'est vraiment formalisé ou identifié pour accompagner les femmes ou les couples qui doivent faire face à cette situation, même si une prise en charge par la sécurité sociale est assurée lorsque la personne est adressée par un médecin.
Évidemment, le groupe GDR – NUPES est favorable à l'inscription claire dans la loi d'un droit à l'accompagnement pour les femmes et les couples qui affrontent une fausse couche. Cette discussion est néanmoins l'occasion de dire encore à quel point notre système de soins est dans sa globalité en état de crise, en manque de reconnaissance et de moyens tant humains que financiers. Elle donne l'occasion de souligner combien la psychiatrie est le parent pauvre d'un système de santé en crise globale. La santé mentale constitue un enjeu majeur, sur lequel la crise sanitaire a jeté une lumière plus crue encore. Dans notre société qui va mal, il y a beaucoup de femmes, d'hommes et d'enfants qui vont mal.
Cette discussion est aussi l'occasion de souligner combien l'accompagnement psychologique est lui-même mal considéré, comme en témoigne le dispositif MonParcoursPsy, imaginé sans les praticiennes et praticiens et même – c'est ainsi qu'ils le ressentent – contre eux. Il prévoit une possibilité d'accompagnement low cost qui s'arrange avec les principes de l'éthique du soin guidant médecins et soignants : cette éthique tient compte de la singularité de chaque patiente et de chaque patient et adapte les moyens permettant de répondre à leurs besoins. Or le nombre de séances et leur durée sont limités, sans considération pour les besoins du patient ou de la patiente. Ce dispositif ne nous semble pas plus adapté a priori aux victimes de fausses couches qu'à d'autres situations.
Plusieurs évolutions allant dans le sens que nous souhaitions ont néanmoins été adoptées en commission : je pense à la prise en compte du couple, et non pas seulement de la femme, ou à l'ambition de mieux former les personnels soignants et de mieux informer les couples. La suppression des jours de carence, provoquée par votre initiative, madame la rapporteure, est une mesure nécessaire.
Néanmoins, nous sommes loin d'avoir fait le tour de la question. Il me souvient qu'en 2017, une alerte avait été lancée par la CGT suite à des cas de fausses couches dans la grande distribution. Des rapports avaient retenu un certain nombre de pistes pour une meilleure prise en charge globale. J'en citerai deux exemples : un examen de contrôle un mois après la sortie de l'hôpital, qui permettrait en outre de s'assurer des besoins en termes d'accompagnement psychologique, ou encore un congé de trois jours qui pourrait, le cas échéant, être étiqueté « congé maladie », et qui serait également ouvert au conjoint. Une telle disposition existe depuis 2021 en Nouvelle-Zélande. En France, un congé de deux jours existe dans une seule branche, celle des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseil.
La question de la grossesse mérite d'être abordée dans la dimension de la santé au travail. On pourrait envisager par exemple un droit – à définir – en cas d'impossibilité de changement temporaire d'affectation pour nécessité médicale. Il apparaît insuffisant de s'en tenir au soin sans s'intéresser de plus près aux enjeux de la prévention et de la protection des femmes enceintes dans leur milieu professionnel. Force est de constater que, depuis 2017, le droit du travail a été appauvri quant à la protection des femmes enceintes, et que la suppression des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) n'a pas amélioré la situation. L'obligation de surveillance médicale renforcée de la femme enceinte a été supprimée et l'état de grossesse n'est pas pris en compte en tant que tel dans le suivi individuel renforcé, lequel est seulement lié aux postes de travail à risques particuliers. Il ne faut invisibiliser ni la fausse couche ni la grossesse elle-même.
L'épreuve particulièrement délicate de la fausse couche nous rappelle combien est précieuse l'éthique du soin : être là, accompagner face aux épreuves, être humain, forcément ensemble. Nous devons construire une société qui prenne mieux soin des individus tout au long de la vie. En abordant cet ordre du jour bienvenu – dont je vous remercie, madame la rapporteure –, nous mesurons que nous avons à construire un nouveau rapport à la santé mentale. C'est une urgence sanitaire dont il reste encore à prendre la mesure collectivement. Chères et chers collègues, au nom des députés communistes et ultramarins du groupe Gauche démocrate et républicaine, je veux vous dire plus que notre sensibilité : notre engagement.