La numérisation rapide et généralisée de notre société conduit à une multi-exposition aux écrans, à laquelle n'échappent évidemment pas les enfants les plus jeunes. Depuis de nombreuses années, pédiatres, psychiatres, professionnels de santé et de la petite enfance – et même l'Académie des sciences ! – ne cessent de donner l'alerte sur les conséquences de l'exposition des jeunes enfants aux écrans. En 2008, le ministère de l'éducation nationale indiquait déjà : « En France, les enfants passent plus de trois heures et demie par jour devant leurs écrans, autrement dit, plus de 1 200 heures par an à regarder la télévision, à surfer sur internet, à jouer sur leur console ou à envoyer des SMS, et seulement 900 heures sur les bancs de l'école. » C'était en 2008, il y a déjà quinze ans. L'exposition excessive aux écrans a des effets négatifs sur la santé et le bien-être des enfants, allant des troubles du sommeil à une perte d'autonomie, de la désocialisation à l'exposition à des contenus inappropriés tels que la pornographie, à des risques d'addiction, dont on parle trop peu, et au risque de harcèlement en ligne.
Face à ce phénomène, les parents sont en première ligne pour sensibiliser leurs enfants aux risques associés à l'utilisation des écrans et des réseaux sociaux, et pour les encourager à des pratiques saines et équilibrées en matière de temps d'utilisation. Ils se doivent de créer un environnement sûr et positif lors de l'utilisation des plateformes numériques. Comment faire ? En 2008 toujours, Serge Tisseron, pédopsychiatre, donnait quelques conseils simples aux parents dans son livre 3-6-9-12. Apprivoiser les écrans et grandir. Ces conseils, articulés autour de quatre étapes essentielles de la vie des enfants – l'admission en maternelle, l'entrée au cours préparatoire, la maîtrise de la lecture et de l'écriture, et le passage au collège –, peuvent être résumés ainsi : pas d'écran avant 3 ans – il faut à tout le moins s'efforcer de les éviter le plus possible ; pas de console de jeux portable avant 6 ans, parce qu'aussitôt les jeux numériques introduits dans la vie de l'enfant, ils accaparent toute son attention aux dépens des autres activités ; pas d'accès à internet avant 9 ans et une utilisation en présence des parents jusqu'à l'entrée au collège ; une utilisation autonome d'internet à partir de 12 ans, tout en veillant à un accompagnement effectif par les parents.
Serge Tisseron rappelait également que, si la règle des 3-6-9-12 était nécessaire, elle n'était cependant pas suffisante. Limiter le temps d'écran est essentiel, tout comme appliquer des règles claires d'utilisation des technologies numériques à la maison. Mais le rôle des parents implique également – cela tombe sous le sens, mais il vaut mieux le rappeler – de discuter avec leurs enfants des risques associés à l'utilisation excessive des écrans et, bien sûr – ou peut-être surtout –, de leur proposer d'autres activités de loisirs.
Car il faut bien le souligner, l'exposition des enfants est largement liée à l'usage souvent immodéré que font leurs propres parents des écrans. Il n'est pas rare de voir un enfant en concurrence avec les écrans pour appeler l'attention de ses parents. Qui n'a jamais vu un parent donner le biberon à son nourrisson tout en regardant ses messages sur son téléphone portable ? Et puis, soyons honnêtes, les écrans sont aussi largement utilisés par les parents pour calmer ou occuper les enfants, le temps pour eux de vaquer à d'autres occupations. L'écran devient ainsi la nouvelle nounou du XXI
Que faire, près de quinze ans après les bons conseils de la communauté médicale que trop peu d'entre nous suivent sérieusement ? Une nouvelle proposition de loi pour tenter de recadrer plateformes numériques et réseaux sociaux ? Pourquoi pas, même si son intitulé lui-même pose problème : une exposition excessive par rapport à quoi ? En juin 2018, la commission des affaires culturelles du Sénat avait publié un rapport, non pas sur l'exposition excessive des enfants aux écrans, mais sur leur exposition précoce : l'angle était probablement mieux choisi.
Votons donc ce nouveau texte, sans enthousiasme pour ma part. Si les enseignants et les autorités ont également un rôle à jouer, en fournissant par exemple des ressources éducatives et en menant des politiques de protection des enfants contre les contenus inappropriés et le harcèlement en ligne, j'avoue me poser encore la même question : tout cela ne relève-t-il pas de l'éducation parentale plutôt que du domaine législatif ?