« Il est si beau, l'enfant, avec son doux sourire, / Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire, / Ses pleurs vite apaisés, / Laissant errer sa vue étonnée et ravie, / Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie. » C'est ainsi que Victor Hugo décrivait l'insouciance, insouciance que nous devons à nos enfants. C'est dans ce cocon que nos enfants façonnent leur âme d'hommes et de femmes libres, de citoyens éclairés, de personnes capables d'humanité, d'émancipation, de spiritualité et de relations apaisées aux autres et à eux-mêmes. C'est cette insouciance que nous devons préserver par tous les moyens dans la société numérique car, si ses outils ouvrent à nos enfants des possibilités formidables d'échanges, d'apprentissage et de communication, ils sont aussi victimes en ligne d'atteintes brutales à leur innocence et à leur intimité. Qu'il s'agisse de l'exposition aux contenus pornographiques, du cyberharcèlement ou de l'addiction aux réseaux sociaux, tous les enfants de France sont désormais concernés.
Je pourrais citer des chiffres, ils sont éloquents. Je pourrais rappeler que les preuves scientifiques portant sur le lien de causalité entre utilisation débridée des réseaux sociaux et atteintes à la santé mentale des enfants et adolescents s'accumulent mais je crois qu'il est plus édifiant encore d'écouter les enfants eux-mêmes : nos enfants qui témoignent, lorsque vous, madame la secrétaire d'État chargée de l'enfance, les conviez au conseil des ministres des enfants, lorsqu'ils participent aux réunions du Conseil national de la refondation (CNR) ; nos enfants qui témoignent de leur sentiment d'avoir été précipités trop tôt dans la jungle des réseaux sociaux comme si on les avait poussés dans le grand bain sans leur avoir préalablement et patiemment appris à nager ; nos enfants qui témoignent de leur colère à l'encontre de grandes plateformes usant de tous les moyens pour capter leur attention au risque de les enfermer dans des prisons algorithmiques, de les plonger dans des abîmes de tristesse et de mal-être ; nos enfants qui témoignent, mesdames et messieurs les députés, et qui nous appellent à l'action.
Cet appel, nous ne pouvons y rester sourds. Nous ne pouvons accepter le sacrifice d'une génération sur l'autel des géants du numérique. Nous avons d'ores et déjà commencé à agir.
Grâce aux travaux menés par Bruno Studer, la France sera bientôt le premier pays du monde à généraliser le contrôle parental par défaut sur tous les appareils vendus sur son territoire, des smartphones aux consoles de jeux vidéo en passant par les tablettes.
Le contrôle parental restreindra l'accès aux sites réservés aux adultes, fera respecter les limites d'âge des réseaux sociaux et permettra aux parents de contrôler le temps passé sur l'écran.
À cause du déferlement massif de contenus pornographiques en libre accès sur internet, 2 millions d'enfants y sont exposés chaque mois. C'est un scandale révoltant, qui s'explique par le fait que les sites concernés ne vérifient pas sérieusement l'âge des utilisateurs. Pourtant, une loi a été adoptée en 2020 visant à les contraindre à exercer ce contrôle, sous peine de voir leur diffusion bloquée par le juge. Nous exigeons qu'ils s'y conforment désormais.
Mais les violences faites aux enfants en ligne ne s'arrêtent pas à la pornographie. Un million d'élèves sont victimes de cyberharcèlement chaque année en France. Nous agissons également sur ce plan. Avec le ministre Pap Ndiaye, nous avons lancé cette année l'expérimentation du passeport internet qui sera généralisé à la rentrée prochaine. Désormais, tous les élèves de sixième bénéficieront d'un module de sensibilisation aux risques et aux attitudes à adopter lorsque l'on est victime ou témoin de cyberharcèlement. Je veux en particulier saluer l'action du numéro d'urgence 3018, dont nous avons annoncé récemment, avec Charlotte Caubel, le renforcement des effectifs et l'extension des heures d'écoute.
Toutefois, face à cette vague d'insécurité numérique, la meilleure des digues reste la protection parentale. C'est la raison pour laquelle nous avons lancé, il y a quelques semaines, une vaste campagne de communication sur le site jeprotegemonenfant.gouv.fr, qui contient toutes les informations utiles et tous les outils pour les parents.
Nous avons commencé à agir au niveau français comme je viens de le rappeler ; nous avons également agi au niveau européen. Sous l'impulsion du Président de la République, lors de la présidence française de l'Union européenne, l'Europe a fait un pas historique dans la direction d'une meilleure régulation des plateformes au profit des mineurs, grâce au règlement sur les services numériques, le DSA – Digital Services Act. Avec ce règlement, les plateformes de réseaux sociaux entrent, enfin, dans l'ère de la responsabilité. Elles devront satisfaire à nos exigences de modération des contenus et devront faire la transparence sur leurs algorithmes et leurs données.
De nouvelles obligations s'imposeront à elles pour la protection des mineurs : proposer des conditions générales d'utilisation (CGU) facilement compréhensibles des enfants ; prendre toutes les mesures pour assurer le plus haut niveau de protection de la vie privée, de la sécurité et de la sûreté des mineurs – ces mesures peuvent inclure en particulier des interfaces adaptées et l'adoption à leurs services de normes de protection des mineurs ; enfin, elles auront l'interdiction de faire de la publicité ciblée sur les mineurs.
Vous le voyez, mesdames et messieurs les députés, nous avons commencé à agir, mais nous devons continuer. C'est la raison pour laquelle je salue la proposition de loi déposée par le président Marcangeli et le groupe Horizons et apparentés. Elle s'attaque en particulier à l'une des dimensions du problème : l'absence de vérification de l'âge lors de l'inscription sur les réseaux sociaux et l'absence de recueil du consentement parental pour les enfants de moins de 15 ans. Grâce à ce texte, les grandes plateformes de réseaux sociaux seront tenues de faire respecter les limites d'âge qu'elles se sont elles-mêmes fixées et il ne sera tout simplement plus possible pour un réseau social d'inscrire un mineur de moins de 15 ans sans le consentement de ses parents.
Au cours de nos débats sur la présente proposition de loi, tout à fait bienvenue, il nous faudra trouver le bon équilibre. L'équilibre entre la protection des enfants, qui est une priorité absolue, et le renforcement de l'autorité parentale. Si nous exigeons des plateformes le plus haut niveau de sécurité pour nos enfants, si nous exigeons d'elles qu'elles vérifient l'âge des utilisateurs, nous devons préférer à l'interdiction pure et simple d'accès aux réseaux sociaux un renforcement de la capacité des parents à contrôler cet accès et à accompagner leur enfant dans le dialogue. C'est cet équilibre entre les règles fixées par la loi et l'accompagnement dans le cadre familial que je souhaite que nous puissions trouver ensemble. Pour protéger nos enfants et pour leur garantir le droit à l'insouciance.