En rejetant le droit de grâce et en instaurant le système des peines fixes, les révolutionnaires souhaitaient rompre avec l'absolue liberté des parlements d'Ancien régime. La détermination légale de la peine et le rôle réduit accordé aux juges étaient synonymes de rempart contre l'arbitraire. De nos jours, l'individualisation du judiciaire, longtemps redoutée, est heureusement réhabilitée.
Madame la rapporteure, la peine minimale, également appelée peine plancher, que votre proposition de loi tend à réintroduire dans le cas de la récidive légale, va à l'encontre de ce mouvement d'individualisation judiciaire et du principe fondamental de notre droit qu'est l'individualisation des peines. Certes, la possibilité d'y déroger reste ouverte, mais elle porte fortement atteinte à ce principe, d'autant que le Conseil constitutionnel, dans une décision du 2 mars 2018, a jugé que le principe de l'individualisation des peines impose la motivation des jugements et arrêts de condamnation, pour la culpabilité comme pour la peine. Cette réforme prétorienne est révélatrice de ce mouvement d'individualisation. Le Conseil constitutionnel pourrait censurer les peines plancher.
Outre cet obstacle constitutionnel, il me semble nécessaire de rappeler le bilan plus que mitigé des peines plancher, qui a justifié leur abrogation. En pratique, les dérogations ont été nombreuses, jusqu'à devenir majoritaires dans les décisions des juges, hostiles à ces sanctions quasi-automatiques portant atteinte à leur office.
Face à cette réticence, la ministre de la justice de l'époque avait enjoint aux procureurs de requérir systématiquement les peines plancher à l'audience et d'interjeter appel si elles n'étaient pas prononcées par le juge, sans effet. En 2012, la Chancellerie a démontré que, dans 60 % des cas où le juge pouvait prononcer une peine minimale, il a fait usage de la possibilité d'y déroger. Quant à la mise en œuvre des peines plancher, elle n'a fait que renforcer la surpopulation carcérale, ce qui constitue un risque majeur à prendre en considération.
Il faut bien constater que la récidive renvoie le système pénal à son échec, ce qui en fait un sujet central pour notre société. Le groupe Démocrate vous rejoint sur un point : il est primordial de lutter contre la récidive. C'est ce à quoi nous nous sommes attelés dans la précédente législature, notamment dans ses dernières années, au cours desquelles nous avons centré la politique pénale sur la lutte contre la récidive. La loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire visent toutes deux à mieux préparer la sortie de prison et à favoriser l'insertion. Tel sera aussi le cas de la loi de programmation de la justice issue des États généraux de la Justice, que nous examinerons au printemps.
Par ailleurs, je crois fermement que nous devons écouter les acteurs du monde judiciaire, directement concernés par votre proposition de loi. Conseil national des barreaux, Conférence nationale des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (CNDPIP), SPIP : tous montrent leur opposition au retour des peines plancher, en raison de leur inefficacité.
Le groupe Démocrate réaffirme qu'il est de notre devoir de protéger ceux qui nous protègent. La loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure a durci la répression en cas de violences volontaires sur les FSI. La question n'est pas tant de réintroduire les peines plancher pour leur offrir une meilleure protection, et ainsi ajouter au millefeuille législatif, que d'assurer une meilleure application des textes en vigueur.
Le groupe Démocrate ne votera pas pour le texte.