Bien qu'à nul autre pareil, le travail transpartisan, accompli en l'occurrence par Laurence Vichnievsky et moi-même, demeure méconnu et trop peu valorisé à l'extérieur de notre assemblée. De surcroît inscrit dans la continuité, il nous a permis de poser, au cours de la quinzième législature, les premières pierres d'un édifice qui nous paraît solide.
La class action peut faire peur. Beaucoup de nos concitoyens, des entreprises en particulier, craignent la transposition en France des pratiques américaines. Mais le modèle que nous suivons est celui d'actions de groupe applicables au droit continental. Notre culture, économique et historique – la tradition de défense des consommateurs en France a été rappelée –, est telle que nous n'avons pas envie de singer ce qui se fait aux États-Unis. Force est de constater que, malheureusement, l'action de groupe à la française ne fonctionne pas comme elle le devrait.
À la suite de dizaines d'auditions, de déplacements et du rapport déjà évoqué, nous avions formulé treize propositions dont le présent texte est en partie la mise en forme. Au risque de manquer de modestie, je dirai qu'il s'agit peut-être d'une nouvelle façon de travailler, qui consiste à ne plus laisser les rapports s'empiler, quelle que soit par ailleurs leur qualité, mais à les mettre sur la table. Ce sera le cas, notamment avec ce texte, au cours de la semaine transpartisane d'initiative parlementaire début mars.
Nous remercions la présidente de l'Assemblée, Mme Yaël Braun-Pivet, d'avoir été sensible à cette approche et d'avoir saisi le Conseil d'État sur la proposition de loi que nous vous présentons. Elle n'y était pas obligée, cette possibilité n'ayant été utilisée que quelques dizaines de fois depuis la réforme de 2008. L'avis du Conseil d'État, avec son précieux regard juridique, permet de conforter le travail parlementaire. Dès lors le rapport, si l'on veut établir un parallèle, peut être assimilé à ce qu'est une étude d'impact sur un projet de loi.
Les principales modifications apportées à la procédure de l'action de groupe se résument en deux points. Tout d'abord, notre texte harmonise les règles de procédure applicables aux actions de groupe afin de les inscrire dans un cadre unique. En deuxième lieu, il procède à un triple élargissement, d'abord de la qualité à agir, ensuite du champ matériel et enfin des préjudices indemnisables. Avec les dispositions actuelles, les préjudices indemnisables diffèrent en effet selon le secteur d'activité considéré. Nous proposons que l'ensemble de ces préjudices, qu'ils soient corporels, matériels ou moraux, soient désormais indemnisables, quel que soit le secteur concerné.
Nous élargissons également les champs d'application des actions de groupe. Si, auparavant, seuls cinq domaines étaient concernés – consommation, santé, environnement, protection des données et lutte contre les discriminations –, aucun domaine ne sera désormais exclu. L'ouverture aux actions de groupe est donc totale ; le champ d'application, quasiment universel, est celui du droit commun.
Nous enrichissons également la qualité à agir, puisque des associations ad hoc vont compléter les seize associations jusqu'à présent agréées pour entamer des actions de groupe. Pour éviter les dérives des class actions à l'américaine, la proposition de loi pose quelques conditions, comme le font également certains amendements. De même, elle n'élargit pas l'initiative des actions de groupe aux avocats, notre volonté ayant été de trouver un équilibre entre le droit continental et le droit anglo-saxon. Soulignons également que le texte renforce le rôle du ministère public, qui pourra se joindre aux actions de groupe.
Notre réflexion, qui s'est affinée depuis 2020, nous a conduits à la création d'un mécanisme nouveau, que l'on souhaite dissuasif : une sanction civile, prononcée par le juge en cas de comportement dolosif du défendeur. Cette sanction participe à la reconnaissance de l'ordre public économique en garantissant que le défendeur, s'il perd dans une action de groupe, ne conserve pas le profit réalisé grâce au manquement sanctionné. Avec une sanction modeste, des calculs d'opportunité pourraient être faits si, au regard du montant des sanctions, l'affaire restait fructueuse. Il ne s'agit pas d'assommer les entreprises, mais d'assainir certains comportements.
D'autre part, nous laissons au juge la possibilité de transférer à la charge de l'État tout ou partie des frais engagés par les associations lors de l'instruction, même lorsqu'elles sont perdantes. Il s'agit d'une sacrée nouveauté ! Bien sûr, pour éviter tout abus, cette prise en charge ne peut se faire que si le juge estime que l'action présente un caractère sérieux. Cette disposition a pour objectif de répondre aux problèmes de financement que rencontrent les associations. En effet, les seize associations agréées n'ont pas toutes été en mesure, tant s'en faut, d'intenter des actions de groupe, faute de moyens financiers. Cette approche est conforme à la directive européenne qui encourage les États membres à mettre en place des mécanismes de prise en charge des frais de procédure ou, à défaut, à réduire ces frais.
Enfin, la proposition de loi prévoit la spécialisation de tribunaux judiciaires, mesure approuvée par le Conseil d'État. Il s'agit d'aider les magistrats à s'adapter aux particularités des actions de groupe et de leur permettre de développer leur expertise. Ces procédures sont en effet complexes, à telle enseigne qu'il nous paraît impossible de les voir prises en charge par certaines juridictions – qu'il ne s'agit évidemment pas de dédaigner : notre but est simplement de parfaire le système –, sur l'ensemble du territoire.