Intervention de Brahim Ben Ali

Réunion du jeudi 9 février 2023 à 17h30
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Brahim Ben Ali, secrétaire général du syndicat national INV :

En 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a rendu l'arrêt Elite Taxi, dans lequel elle qualifie Uber de société de transport et non de plateforme d'intermédiation. Dès lors, les États membres ont tout loisir de faire de même. La France n'est pas allée dans ce sens, elle continue donc de considérer Uber comme une plateforme d'intermédiation. Beaucoup de chauffeurs ne comprennent pas cette position. Ils sont subordonnés à Uber et ne décident de rien : pourquoi doivent-ils payer une TVA sur la commission d'Uber ? Certes, ils ont donné à la plateforme l'autorisation de facturer au nom de leur société ; cependant, ils pensaient alors qu'Uber se comporterait comme Doctolib et limiterait son intervention à la mise en relation entre le client et le chauffeur, lequel resterait maître de son prix. En réalité, Uber impose les règles et prélève une commission de 25 % sur le prix des courses ; cela signifie que pour une course à 10 euros, je perçois 7,50 euros et Uber 2,50 euros – sauf que je dois acquitter moi-même la TVA, y compris sur ces 2,50 euros prélevés par Uber. Je rappelle qu'un autoentrepreneur est assujetti à la TVA au-delà d'un chiffre d'affaires de 36 800 euros et que toute société doit s'acquitter de la TVA sur le brut, et non sur le net perçu. Or la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 4 mars 2020, que le chauffeur n'est pas un indépendant mais qu'il est présumé salarié. Si tel est vraiment le cas, il ne doit même pas payer de TVA, que ce soit sur les 25 % revenant à Uber ou sur la totalité du prix de la course ! Un arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2023 est d'ailleurs venu confirmer cette jurisprudence, tandis qu'une directive européenne en cours de discussion va dans le même sens puisqu'elle instaure une présomption de salariat.

Uber B.V. Amsterdam répondra cependant que le siège social de la plateforme en France ne s'occupe pas de ces questions fiscales et que c'est aux chauffeurs d'autoliquider la TVA. Autrement dit, nous devrons payer la TVA sur l'intégralité du prix des courses et déclarer tout cela au centre des impôts. Certains agents du fisc, connaissant nos conditions de travail et nos relations avec Uber, nous demanderont de déclarer le net perçu, sans la commission d'Uber ; d'autres se référeront à la loi et exigeront que nous déclarions l'intégralité de la somme facturée au client. Il y a là un manque à gagner non seulement pour les chauffeurs, mais aussi pour l'État : si Uber ne paie pas cette TVA, qui la paiera ?

Pour sortir de ce dilemme, nous avons saisi un avocat fiscaliste afin d'obtenir le remboursement de l'intégralité de la TVA indûment collectée par les chauffeurs. Je félicite mes camarades lillois ainsi que mes collègues lyonnais, qui ont obtenu une décision historique : le conseil des prud'hommes de Lyon s'est réellement mouillé dans cette affaire. Vous me répondrez peut-être que la cour d'appel doit encore statuer, mais au vu de tous les éléments qui prouvent que les chauffeurs sont salariés et non indépendants, je ne suis pas très inquiet. En revanche, je suis scandalisé par la tournure des événements au conseil des prud'hommes de Paris, où les procédures sont interminables.

C'est donc à de l'optimisation fiscale que s'adonne Uber. Au vu du chiffre d'affaires réalisé par la plateforme, le montant de ses impôts – 1,6 million d'euros – est scandaleux. Avant le Brexit, Paris était le deuxième plus grand marché de l'Union européenne pour les transports publics particuliers de personnes : Uber réalisait en Île-de-France 2,6 millions de trajets par semaine. Ce chiffre, que nous ont communiqué des sources internes à Uber, doit être encore plus élevé aujourd'hui. Quant à Heetch, il réalise en région parisienne 450 000 à 750 000 trajets par semaine – Teddy Pellerin a fait preuve de transparence, on voit là toute la différence entre une plateforme française et une plateforme américaine. Je lance l'alerte : il y a de l'optimisation fiscale à gogo. J'ai l'impression que nous avons passé à la trappe les obligations fiscales d'Uber, au motif que cela ferait baisser la courbe du chômage.

Enfin, je tiens à témoigner sur le fait que certains de mes collègues sont morts très jeunes. Je veux rendre hommage à Samir, un camarade cher à mon cœur, décédé d'une crise cardiaque. Il s'était plaint à son médecin, à qui il avait décrit ses conditions de travail chez Uber. Il disait qu'il était fatigué, malade, et qu'il ne se reposait pas assez. Rentrant chez lui, il a ressenti une douleur à la poitrine et il est mort. Je veux aussi vous parler de Mohammed, qui se levait le matin après s'être reposé deux ou trois heures à peine. Il reprenait le boulot parce qu'il n'avait pas le choix, ses créanciers n'attendaient pas ! Il s'est fait écraser par un camion du côté de Disneyland, à Marne-la-Vallée. Je vous parlerai aussi de Serge, à Toulouse, qui est mort d'un AVC – il se trouvait malheureusement seul à bord de son véhicule et n'a pas pu appeler les secours. Il y a tant de personnes qui meurent en exerçant cette profession… Doit-on en vivre ou en mourir ? Telle est la question.

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