Intervention de Brahim Ben Ali

Réunion du jeudi 9 février 2023 à 17h30
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Brahim Ben Ali, secrétaire général du syndicat national INV :

Notre but était effectivement de nous émanciper d'Uber et des plateformes numériques, de reprendre le pouvoir. Il s'agissait de prolonger nos mobilisations en créant quelque chose de concret : c'est ainsi qu'est venue l'idée de la « coopérisation » contre l'ubérisation. « Coopériser », c'est mutualiser nos services, travailler ensemble, créer une société avec des valeurs éthiques.

Deux modèles étaient possibles : Jean-Yves Frouin proposait celui de la coopérative d'activité et d'emploi (CAE), tandis que je privilégiais plutôt celui de la Scic, qui permettait de travailler avec les collectivités. À ce propos, le président du département de la Seine-Saint-Denis nous a dit qu'il avait proposé à Uber, à l'époque où la plateforme commençait à se développer et à démarcher des jeunes des quartiers populaires, de se tourner vers le marché des personnes en situation de handicap et des seniors, mais que l'entreprise avait refusé. Ce n'est pas notre cas : nous ne faisons pas de distinction dans le transport des personnes. Dès le début, nous avons donc voulu travailler avec des collectivités, parce que ces dernières avaient des marchés et qu'elles pouvaient nous apporter un soutien financier.

Si nous avons opté pour la Scic, c'est aussi parce que chacun voulait rester indépendant, mais pas au sens des règles d'indépendance imposées par les plateformes numériques. Nous avons donc souhaité créer une démocratie, à rebours du fonctionnement antidémocratique d'Uber dont les décisions étaient toujours unilatérales – malgré nos sollicitations, on nous renvoyait toujours à l'entité Uber San Francisco. Des personnes deviendront sociétaires de la coopérative en achetant des parts sociales : cela leur donnera la possibilité de voter, de choisir l'orientation de la structure et de développer leur entreprise. Elles ne seront pas sous tutelle, comme elles le sont avec les plateformes numériques.

Notre initiative rencontre un réel succès : un nombre croissant de personnes souhaitent rejoindre la coopérative. Aujourd'hui, 5 000 chauffeurs se montrent intéressés mais comment voulez-vous accepter un tel nombre de sociétaires si vous n'avez pas les marchés suffisants ? C'est pourquoi nous essayons de trouver ces derniers et d'obtenir le soutien des collectivités, qui passent elles-mêmes des marchés publics – nous nous sommes d'ailleurs portés candidats à l'attribution du marché de prestations de transport privé dans le cadre des Jeux olympiques.

Tout cela est très difficile pour notre coopérative, principalement parce que la plupart des chauffeurs ne sont formés ni à la gestion d'entreprise, ni au transport de personnes. Je vous rappelle que certains ont obtenu leur carte professionnelle par équivalence ou, pour dire les choses clairement, par la fraude. Nous n'en voulons pas. Nos procédures de vérification durent un mois avant d'accepter un nouveau sociétaire, alors que vous pouvez devenir chauffeur Uber en moins de vingt-quatre heures. Il y a des règles à respecter, celles du code des transports : nous les respectons, Uber ne les respecte pas.

Au sein de notre coopérative, nous voulons aider les chauffeurs à se former et à revenir à l'essence de leur profession, qui est la grande remise. Le transport de personnes est un art : il ne s'agit pas simplement d'accepter une course sur son smartphone. Notre profession, représentée à la chambre de métiers et de l'artisanat (CMA), exige un savoir-faire. La France est très fière de sa baguette mais elle est aussi connue dans le monde pour cette prestation de prestige – un prestige qu'Uber a cassé.

J'ai récemment demandé à mes interlocuteurs au ministère des Transports s'ils utilisaient Uber. La plupart d'entre eux m'ont fait des grimaces, parce qu'ils savent très bien que c'est un service low cost, non sécurisé, et qu'il est rare de tomber sur des chauffeurs professionnels. Certains de ces chauffeurs en ont ras le bol et je les comprends ; ils se demandent pourquoi mettre une chemise, une cravate et un costume alors qu'ils sont si mal payés. Dans notre coopérative, nous voulons donner à nos chauffeurs l'espoir d'avoir un vrai tarif, négocié, et une réelle indépendance. Le but de notre coopérative est donc l'émancipation.

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