L'intensification est réelle. Dans le Golfe, la crise ouverte entre le Qatar et l'Arabie Saoudite en 2017 a par exemple suscité une forte compétition pour gagner des relais d'opinion.
Ensuite, les savoir-faire sont différents selon les zones géographiques et l'antériorité de l'expertise. À l'évidence, la Russie dispose d'une pratique plus ancienne et parfois plus subtile de ce genre de manipulations.
Parmi ces puissances, il peut également être utile d'identifier celles qui se lancent dans un débat plus ouvert et celles qui opèrent de manière plus brutale, en achetant des loyautés. Certains pays ont compris que, pour être influents, ils devaient tolérer une certaine dose de critiques. D'autres pays ne sont pas encore en mesure de l'accepter et adoptent des postures plus rigides, ne souffrant aucune remise en question : ils payent quelqu'un pour dire quelque chose et il ne faut surtout pas que la personne s'en écarte. De fait, les régimes les plus autoritaires ne peuvent pas réellement développer une stratégie de soft power s'ils refusent d'entendre la moindre note discordante et exigent systématiquement une obéissance totale.
C'est peut-être pour cette raison que des pays comme le Qatar ont innové, avec des chaînes de télévision comme Al Jazeera, en montrant qu'ils étaient capables de produire un débat plus ouvert, quand d'autres voisins du Golfe n'étaient pas forcément prêts à l'accepter. Même RT, de temps en temps, ouvre un peu le débat.
Certains pays ont clairement indiqué dans les documents de doctrine relatifs à leur action extérieure que leur diplomatie publique allait désormais se lancer dans une compétition d'influence, laquelle s'est clairement intensifiée lors des dernières années. De fait, la France, au même titre que d'autres pays, a fini par accepter cet état de fait et par consentir à descendre dans l'arène.
Des instruments ont donc été mis en place et accompagnés de moyens importants dans des pays qui ont érigé certaines priorités. Des administrations et des institutions entières sont créées et se voient allouer des budgets importants. L'intensité des initiatives pourra varier. Elles pourront parfois être mobilisées de manière très agressive. Lors du conflit qui l'a opposé à l'Arabie Saoudite, le Qatar s'est trouvé isolé un moment avant de mobiliser ses relais pour contre-attaquer.
Comment pouvons-nous répondre ? La création de tels types d'instrument ne figure pas dans notre ADN et une démocratie libérale comme la nôtre n'a pas vocation à propager des fakes new s. Mais lors de notre histoire récente, nous avons malgré tout ressenti qu'il nous fallait nous soucier de ces questions. L'année 2003 a été à ce titre remarquable, au plus fort du French bashing aux États-Unis. À cette occasion, nous nous sommes aperçus que nous ne disposions pas d'un caucus français à Washington : nous étions l'un des rares pays européens à ne pas avoir un réseau de personnes prêt à nous défendre au sein des institutions américaines, comme le Congrès par exemple ; personne n'était là pour rappeler aux Américains que nous étions malgré tout des alliés et non des traîtres, que nous continuions de coopérer étroitement dans la lutte antiterroriste, etc.
Il faut donc prendre la mesure de l'effort déployé par certains États pour mettre au point ces instruments. Des priorités politiques ont justifié à leurs yeux l'attribution de moyens financiers et humains élevés, accompagnés d'un suivi constant de la part des plus hautes autorités de l'État. Il ne s'agit pas de tomber dans la paranoïa, mais d'être conscients de ce qui est mis en œuvre dans d'autres pays pour agir sur les esprits, influencer des leaders d'opinions et faire passer des messages.