Cela n'a jamais été simple d'avoir un tel débat. Quand j'étais au gouvernement, j'avais parfois l'impression que, dans le regard de certains, le fait d'être antinucléaire nuisait à la crédibilité de mes propos. Si vous êtes contre le nucléaire, vous êtes immédiatement suspecté : soit vous êtes lié à des intérêts étrangers, soit vous avez peur, soit vous êtes inintelligent ou inculte, alors qu'être un pronucléaire enthousiaste ne pose aucun problème. Cette situation, qui a pris des formes différentes dans le temps, est agaçante.
En 2001, plusieurs députés ont déposé une proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête relative à l'existence et au stockage de déchets nucléaires non retraitables à l'usine de La Hague, en violation de la loi du 30 décembre 1991 – la « loi Bataille », qui interdit la conservation de déchets étrangers au-delà des délais de retraitement –, et sur les responsabilités de la Cogema en la matière. Or il y avait en France d'importantes quantités de déchets allemands, qui ont par la suite été renvoyés. La demande de commission d'enquête a été rejetée ; le président de la commission de la production et des échanges – devenue la commission des affaires économiques – avait estimé, avant le vote, que le nucléaire était indispensable à la couverture des besoins énergétiques actuels et futurs de l'humanité et que la proposition des parlementaires tendait « de manière contournée et inavouée » à remettre en cause le fondement même de l'énergie nucléaire dont il est « irresponsable » d'envisager de se passer. On est là dans la foi, pas dans l'argumentation. Il y avait à l'époque une opinion critique du nucléaire, que j'ai pu exprimer lors de mon passage au gouvernement. Je n'y ai pas renié mes convictions, Lionel Jospin vous l'a dit, mais je n'ai pas gagné les arbitrages. Néanmoins, perdre, ce n'est pas s'incliner, c'est refuser de se battre. J'ai d'ailleurs remporté quelques succès sur la transparence, la sûreté, la radioprotection et la qualité du dialogue avec les entreprises – j'ai conservé des relations avec plusieurs grands dirigeants du secteur nucléaire, qui ne diraient pas de mal de moi.