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Intervention de Dominique Voynet

Réunion du mardi 7 février 2023 à 20h30
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Dominique Voynet, ancienne ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement :

Si on n'a pas envie d'être traduit en justice pour diffamation, on fait attention à ce que l'on dit sur le poids, les méthodes et les relais du lobby nucléaire. Les ingénieurs du secteur, issus en général du corps des mines, occupent au cours de leur carrière des postes de responsabilité au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ainsi que dans les grandes entreprises publiques ou privées du secteur. C'est inévitable mais il faut beaucoup de déontologie et de rigueur personnelle pour ne pas mélanger les genres. Il me semble que nous avançons dans ce domaine et que nous cherchons plus que par le passé à éviter les conflits d'intérêts.

Le lobby nucléaire n'est pas homogène : vous avez auditionné de hauts dirigeants de la filière qui ont eu la responsabilité d'organiser la production et qui ont parfois perdu de vue les dimensions sociétales de leur travail, à une époque où les liens entre le nucléaire militaire et le nucléaire civil étaient étroits et la culture de la transparence et du débat public, plus faible. J'habite à 60 kilomètres de l'usine de Valduc que j'ai demandé à visiter, mais on m'a répondu qu'il n'y avait rien à voir. La culture du secret était bien plus prégnante à l'époque. Après avoir visité le porte-avions Charles-de-Gaulle, je n'ai pourtant pas fait de conférence de presse pour révéler des informations qui auraient pu menacer la sécurité de la France : on est responsable quand on est ministre.

Je ne pense pas que vous soyez insultée ou menacée de mort par des gens du lobby nucléaire. Pendant la polémique sur le mécanisme de développement propre dont nous venons de parler, certains commentaires sur internet étaient grossièrement insultants, sexistes, violents et menaçants – « Il faut rétablir la peine de mort pour cette ordure, nous savons où elle habite ». De tels messages sont préoccupants, mais le lobby du nucléaire emploie d'autres moyens d'action, comme l'évitement – passer sous le boisseau certains problèmes – ou la recherche d'alliances, en s'adressant directement à d'autres ministres ou au Premier ministre. Il est agaçant d'apprendre qu'un problème donc vous avez la charge a été réglé dans votre dos à un autre niveau.

Les « députés du nucléaire » auxquels j'ai fait allusion tout à l'heure ne sont pas tous soumis aux puissances de l'argent et à la corruption – cela arrive néanmoins et j'ai deux exemples en tête de députés et également d'un ministre de l'industrie, qui, après un échec électoral, a créé son entreprise de communication et a travaillé avec EDF et Cogema à la promotion de l'EPR en dehors de la France, en prétendant qu'il remplissait son devoir déontologique car il ne plaidait pas pour l'EPR en France : revenu au gouvernement, serait-il indépendant de ses liens d'affaires ? Bien sûr que non ! Je me souviens de députés de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) qui étaient partis quinze jours visiter les sites américains de stockage nucléaire du Nevada, après une escale à New York et une autre à Chicago : c'était une belle promenade organisée par le lobby.

Ce n'est pas pendant la législature de la gauche plurielle que l'ASN a été instituée, mais le débat a commencé dans ces années. Deux options très différentes se faisaient face : certains militaient pour que la sûreté nucléaire ne dépende plus du gouvernement – les grandes entreprises voulaient décider avec l'autorité de sûreté sans subir de pression gouvernementale, notamment celle du ministre chargé de l'environnement qui leur demandait des comptes –, quand d'autres, dont j'étais, étaient soucieux de conserver des moyens au sein de l'État tout en coupant le cordon ombilical avec les entreprises. Nous ne sommes pas parvenus à nous mettre d'accord. Nous aspirions en revanche à créer une autorité de sûreté qui aurait à connaître de l'ensemble des sujets ; les questions de radioprotection, de sûreté et de transparence ne sont pas de nature différente, elles consistent toutes à répondre aux attentes de la société avec le plus haut niveau d'exigence. Il a fallu plusieurs années pour trouver le compromis actuel, qui n'est pas mauvais : nombreux sont ceux qui soulignent les progrès accomplis en matière de sûreté, mais l'arbitrage entre celle-ci et la production constitue l'une des questions préoccupantes de la période qui vient.

J'ai répondu au rapporteur, qui m'interrogeait sur les projets de centrale nucléaire du Pellerin et du Carnet, que je n'avais jamais exercé le moindre chantage sur M. Lionel Jospin à propos de la construction d'un nouvel EPR, mais que j'avais été associée à la décision d'abandonner l'idée d'implanter une centrale sur le site du Carnet au tout début de la législature – ce dossier ne figurait pas dans l'accord entre les Verts et le Parti socialiste.

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