Oui, on est là dans la rhétorique. À l'époque, mon travail a essentiellement été d'obtenir que l'on objective les sujets.
En 1973, on dresse un constat – il n'y a plus de pétrole –, on a des idées : on décide de faire du nucléaire. L'idée que les fossiles représentent 60 % ou 70 % du problème n'est pas largement partagée lorsque j'arrive au gouvernement. Ce qui me frappe, c'est la très faible culture qu'ont l'essentiel des membres du gouvernement, du Parlement, des élus, des journalistes et de la société sur les sujets énergétiques. On se contente de phrases magiques – « le nucléaire ou la bougie », par exemple.
Essayer de partager des connaissances et de consolider des données sur les questions énergétiques est déjà une partie du problème. On doit aussi diffuser l'idée qu'il n'y aura jamais une solution concrète, unique, à un problème par nature immense et complexe, et qu'il faudra balayer l'ensemble des activités humaines et tenter de réduire la difficulté – quand un problème énorme paraît insoluble, on essaye de le fragmenter. Il faut donc associer un travail sur l'efficacité énergétique, au motif que l'énergie la moins chère, la moins polluante, la moins dangereuse, est celle que l'on n'a pas consommée, et un travail sur la diversification des sources d'énergie. Au moment où j'arrive au gouvernement, on vient de vivre quinze ou vingt ans pendant lesquels EDF a encouragé des usages de l'énergie pour lesquels l'électricité n'est pas la panacée.
Dans notre pays, le débat n'est jamais objectivé, en des termes clairs. On confond énergie avec électricité ; production et consommation primaire avec consommation finale. Étant donné qu'une centrale nucléaire doit produire 3 kilowattheures pour fournir 1 kilowattheure au consommateur, les deux autres étant consommés à parts égales par la centrale et par le transport, on ne peut qu'en conclure que le chauffage électrique n'est pas très efficace. Certes, les grille-pain électriques de l'époque ne sont pas chers et on encourage les habitants à isoler leur logement, en les prévenant que le chauffage électrique n'est valable que s'ils sont bien isolés. Mais des millions de personnes sans scrupule l'utilisent pour équiper à peu de frais des logements de location, qui reviennent très cher aux personnes qui y vivent, dans des conditions de confort très limitées.
Dans ce contexte, comment a-t-on travaillé ? J'ai entendu Mme Corinne Lepage regretter que la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie, dite loi LAURE, n'ait pas été entièrement appliquée. C'est partiellement exact car, étant une loi d'orientation, elle ne comportait pas de dispositions très contraignantes sur le plan législatif. En revanche, elle prévoyait des outils intéressants que l'on a appliqués chaque fois que cela était possible et utile. On l'a surtout déclinée dans le premier programme national de lutte contre le changement climatique, qui a tenté de balayer, un à un, les grands champs d'activité humaine et d'arrêter les mesures permettant de réduire les émissions.
Au niveau européen et international, j'ai représenté la France dans les négociations de Kyoto, en présence, notamment de la Chancelière Angela Merkel et du ministre danois Svend Auken. Notre travail consistait à faire en sorte que les pays les plus développés assument leurs responsabilités. Outre les outils économiques, qui semblaient être la condition indispensable pour que les États-Unis s'engagent à nos côtés, les Européens ont défendu des politiques et des mesures nationales en faveur de l'efficacité, de la diversification et de l'économie d'énergie.